Journal
du Grand Confinement
1337ème
jour après le Grand Confinement
Devant
mon balcon, c'est vraiment la savane...Dans l'herbe haute hier soir,
au coucher du soleil j'ai vu un renard. Cela n'a pas l'air de
troubler les chats, apparemment il ne les chasse pas, quant aux
poules sauvages elles ont appris à se réfugier dans les arbres ;
je pense qu'il doit manger les rongeurs. Ensuite je n'ai plus rien
vu,la nuit est tombée, c'était l'heure du couvre-feu . J'ai fermé
mes volets et éteint mes lumières d'autant que j'ai entendu passer
une patrouille de vigilants.
Aujourd'hui,
jeudi j'ai le droit de sortir à « l'heure des vieux » .
Il va encore falloir enfiler cette foutue Kombi , j'ai horreur de
ça ! D'autant que je dois enfiler l'ancien modèle, celui qui
s'attache dans le dos...Le modèle récent est dans le lave-linge. Et
puis j'ai horreur aussi de me retrouver avec des gens qui ont tous
mon âge. C'est déprimant !
Une
chose me réjouit cependant : pour aller en ville je vais
prendre le tram-cheval...J'adore., ça c'est le côté positif de la
disparition des véhicules individuels.
J'ai
préparé ma liste de courses. J'en ai un peu marre du riz , des
pâtes, et du rutabaga. Je ne comprends pas pourquoi en période de
crises on de rabat sur le rutabaga ! Pendant la guerre mondiale
les allemands avaient réquisitionné les patates, mais là ? Je
ne comprends pas. Plus assez de cultivateurs peut-être...Malgré
tout la répartition du temps de travail, c'est une bonne chose. Le
mois prochain mon fils aîné doit travailler, il va faire
« son temps » comme on dit, le mois dernier c'était
celui de sa compagne. Avec le SUV « salaire unique de vie »,
ils ne s'en sortent pas trop mal, d'autant qu'un tas de choses
inutiles aujourd'hui ont complètement disparues .
Dimanche
je vais pouvoir aller les voir : jour de circulation...Mais avec
le port de la kombi obligatoire pour les réunions de plus de 4
personnes, je n'irai pas pour le repas. Siroter la soupe et le vin
avec une paille ce n'est pas...ma tasse de thé !
1340ème
jour après le Grand Confinement
Ce
matin , je suis allé sur mon balcon, mais c'était inhabituellement
bruyant, on est en train de transformer l'école d'en face en écurie
pour les services publics. Depuis le temps qu'elle dormait !
J'ai préparé mon repas :patates, carottes et l'inévitable
rutabaga, puis il y a eu la Coupure. Je n'avais pas regardé les
horaires et j'ai dû finir avec mon camping-gaz, sur le balcon, en
plein boucan. Le problème avec les coupures d'énergie c'est que les
horaires varient de jour en jour. Il paraît que les Autorités vont
se mettre d'accord pour un « zonage » des coupures. Un
jour l'ile de France, un jour la Bretagne, un jour...ce n'est pas
pour demain ...d'ici qu'ils arrivent à se mettre d'accord ! Les
Autorités ... depuis la quasi-disparition d'un pouvoir central
on hésite entre le féodalisme et le communalisme. A Marseille,
c'est clair, le pouvoir appartient à un consortium de véritables
seigneurs de la guerre. Il fallait s'y attendre ! Ici, on se
dirigerait plutôt vers le communalisme, ce qui n'est pas pour me
déplaire, moi qui suit un admirateur de la Commune de Paris.
…........................................................................................................................
Je
reprends le journal, j'étais allé croquer une pomme. Ce n'est pas
anodin ! Avec le retour à la vie sauvage de nombreux arbres
fruitiers et leur prolifération, on a retrouvé des saveurs
oubliées. Les pommes d'aujourd'hui me rappellent celles de mon
enfance, quand le dimanche, avec la Citröen « 11 berline
légère » on allait le dimanche gauler des pommes « à
la campagne ». Nostalgie...
Ah !
Oui j'oubliais ! Hier dimanche je suis allé voir la famille. On
a eu la riche idée de faire manger les enfants dans une pièce et on
s'est attablé dans une autre, ce qui fait qu'on a pu ôter nos
kombis. C'était limite...On a contourné à notre façon « la
règle des quatre». Heureusement, on n'a eu aucun contrôle.
A
propos de contrôle, avant-hier des vigilants sont venus chez moi. La
femme était plutôt correcte, mais le type était détestable. Il a
voulu visiter mes « Plantations » et il m'a arraché un
plan en prétextant que j'avais dépassé le quota. Il ne l'a pas
détruit, en tout cas je ne l'ai pas vu le faire. Je soupçonne ce
gars d'être un trafiquant.
Bon,
ça va bientôt être l'heure des vieux ». je vais en profiter
pour aller au PMD ( potager municipal de district ) pour
cueillir une salade et des carottes. Il ne faut pas cette fois que
j'oublie ma Carte-aux-bons. L'autre jour je l' avais oubliée, et
comme on n'a le droit qu'à une sortie quotidienne...La surveillante
du mois est sympa, si je lui explique, elle me laissera peut-être
cueillir deux salades.
1353éme
jour après le Grand Confinement
J'ai
passé la matinée à surfer sur le RUM ( réseau unique mutualisé).
J'en ai profité pour revoir Les Temps Modernes de Chaplin ;
vraiment génial, mais le message a perdu de son acuité. Ce film
n'aura pas la même signification pour les générations qui le
verront (?) dans 20 ou 30 années...une valeur de témoignage
historique peut-être. Difficile de caractériser les temps que nous
vivons : un mélange de modernité, des relents de moyen-âge et
même un retour à l'époque des cueilleurs-chasseurs.
Sur
le RUM on trouve tout et n'importe quoi. Faut juste trier. Aux débuts
on était envahis par les trolls mais comme chacun a la main, ça
c'est peu à peu décanté. Il y a de plus en plus de « scruteurs »,
moi-même il m'arrive de scruter. C'est un acte civique comme le
répètent les Autorités.
La
nouvelle kombi...je sais , je parle beaucoup des Kombis , mais c'est
une préoccupation constante ! La nouvelle kombi, celle qu'on a
livrée cette semaine est vraiment plus légère, plus confortable et
l'idée de lui rajouter des poches hermétiques...ça change tout.
Mais
pas de sortie aujourd'hui, pas de balcon, et jour chômé pour les
travailleurs « de mois ».
C'est
la Débi (désinfection bimensuelle des espaces publics). Je
regarderai par la fenêtre. Les poules, les canards, les chats, les
lapins, toute la petite faune sauvage a bien observé qu'on arrosait
seulement les chaussées et les murs. Alors, comme moi, depuis sa
savane, elle observe.
Ah !
D'ailleurs , il y a un nouvel habitant dans ma savane. Un kangourou !
Si ,si, un véritable et indubitable kangourou !Je ne sais pas
d'où il sort, mais on ne s'étonne plus de rien . Il y a des
sangliers en ville, des moutons , des ragondins et même des castors
sur les rives de l'Erdre ; et il paraît qu'une meute de loups
rôde la nuit du côté de Rezé. J'ai vu une vidéo sur le RUM mais
la provenance est douteuse. J'ai d'ailleurs rédigé un ASC
(avertissement du scruteur).
1363éme
jour après le Grand Confinement ou 1364ème , il faudra que je
vérifie, mais ça n'a pas d'importance !
Encore
une journée passée sur le RUM. Mes yeux fatiguent mais ça valait
le coup.
En
fait, je crois que tiens une sacrée cuite.
Bon,
j'explique, je tente...
De
scruteur je me suis fait scrutateur...
On
a gagné ! On a gagné !
80
%de oui ! C'est rare pour une votation !
Tout
a commencé par une pétition en ligne pour demander aux Autorités
la suppression de l'heure des vieux, puisque c'est ainsi qu'on la
nomme. Dans la langue polie et policée des Autorités c'est :
l'heure autorisée des sorties pour les aînés On a rapidement
obtenu les 15000 signatures nécessaires et donc c'est parti pour la
votation. La proposition est simple : au lieu de répartir les
sorties quotidiennes selon les deux derniers chiffres de la date de
naissance, il suffit de tenir compte du dernier chiffre et
d'organiser un roulement.
Bon,
dit comme cela, ça paraît compliqué ...je comprends.
Alors
je montre.
Sorties
autorisées-Printemps et été
Heures : (dernier
chiffre de la date de naissance)
lundi
7h
-10h numéros 1 et 2
10h-13h numéros
3 et 4
13h-16h numéros
5 et 6
16h-19h numéros
7 et 8
19h-22h numéros
9 et 0
22h
couvre-feu
mardi
7h-10h numéros
3 et 4
10h-13h numéros
5 et 6
Et
ainsi de suite jusqu'au dimanche, c'est clair, non ?
Le
dimanche il n'y a que deux tranches : de 9h à 15h et de 15h à
21h., on permute les numéros chaque semaine, ainsi chacun peut
participer à midi ou le soir à une soupe-pailles entre amis ou en
famille. Pour moi, ça ne change rien ; je suis allergique à la
soupe-paille, je trouve ce truc totalement régressif . Il me fait
trop penser aux grenadines de mon enfance.
A
ce propos, je débouche une autre bouteille de champagne, et comme je
ne peux la garder...Je vais la vider !
On
a gagné ! On a gagné !On a gagné ! On a gagné !
Je
suis complètement bourré, ou beurré, ou barré ! Ah !
C'est bien trouvé. Faudra que je le re-serve quand j'aurais
l'occasion ! Là j'arrête !
…............................................................................................................................................Je
ne sais pas l'heure qu'il est.
C'est
sans doute l'heure du couvre-feu, à moins que je ne l'aie dépassée.
Je
reprendrai ce fatras demain ... ou un autre jour.
1370ème
jour après le Grand Confinement
Je
reprends mon journal , de plus en plus épisodique. Et pour cause !
Les jours se succèdent dans une monotonie désespérante. Le jour
vécu ressemble au jour passé. Le moindre petit incident prend pour
cela l'allure d'un événement. Un verre cassé et c'est un monde qui
se brise ! Les plantations autorisées ne suffisent plus pour
colmater l'édifice moral. On trafique des substances psychotropes
lors des sorties quotidiennes .La plupart des personnes se réfugient,
enfants comme adultes, sur le RUM. On voyage sur le RUM, on s'y
cultive, on s'y distrait, on y rêve, on s'y soigne, on converse, on
discute, on polémique, on y a des colères, des amitiés, des
amours...La vie réelle n'est là que pour pourvoir aux seules
nécessités vitales : manger, boire, chier, pisser, dormir et
j'allais ajouter, se reproduire mais le terme est impropre.
On
est à la veille d'une énorme mutation culturelle, spirituelle,
telle que l'humanité n'en a connue depuis la domestication du feu.
La vie réelle n'est plus que le cadre, le support du monde virtuel
qui devient la Vraie Vie. Les enfants nés pendant le confinement
sont déjà d'une espèce autre. Nous ne pouvons les comprendre, nous
sommes pour eux des Néandertaliens, une espèce vouée à
disparaître. Nous éprouvons la nostalgie des jours d'avant et nous
en souffrons, eux n'en souffrent pas, ils n'ont pas cette
connaissance d'un monde ancien, d'un paradis perdu...C'est sans doute
mieux ainsi !
Trêve
de sombres pensées !
Je
vais sur le balcon, je regarde la savane, le soleil brille, les
oiseaux chantent, j'ai jeté des grains de riz qui attirent les
mésanges.
1430ème
jour après le Grand Confinement
Aujourd'hui,
parce qu'il faut bien parler de quelque chose, et puisque, tous les
jours se ressemblant, j'ai décidé malgré tout de tenir ce journal,
je vais y parler de l'état du monde, ou plutôt de ce qui nous
parvient de l'état du monde. Comme unique source j'ai le RUM et les
bribes et les morceaux que l'on peut y recueillir. A propos de
morceaux, autant dire que le monde a éclaté façon puzzle. Avant,
je veux dire avant le Confinement, sur les chaînes comme on disait
alors, avant que leurs maillons ne se défassent, sur les chaînes
donc, les commentateurs, prédicateurs, chroniqueurs, spécialistes
en tous genres, futurologues, politologues, j'en passe et de
meilleurs, nous prédisaient l'avenir et étaient à peu près
d'accord pour annoncer une tendance : la reconstitution des
grands empires.
En
fait le monde humain n'a jamais été , sauf peut-être à l'époque
de son organisation clanique, aussi morcelé, aussi dispersé.
Prenons l'exemple de la Russie. Poutine, complètement paranoïaque,
est cloîtré dans sa ville de Saint Petersbourg où il redoute par
dessus tout une attaque des Vikings ! Des Vikings! Aux
Etats-Unis, la moitié de la population a déjà flingué l'autre
moitié. Le vieux clown, toujours là, lui aussi, est à Washington
qu'il a entouré d'un mur « infranchissable ». Le
résultat est là, la population meurt de faim et les pelouses de la
Maison Blanche ont été mises en culture. De l'Etat Libre de
Louisiane nous parviennent ces vidéos du lockdown-jazz qui font un
tabac sur le RUM. Je pourrais parler de l'Australie ; les
habitants, en masse, ont quitté les villes pour le bush, où ils
tentent de survivre avec l'aide des aborigènes. Je pourrais parler
aussi de l'Afrique . Avec la fin de la mondialisation et des courants
d' « échanges » , l'Afrique exploite ses propres
et nombreuses ressources et a l'air de pas mal s'en sortir .
Certains nous donnent l'Afrique pour modèle . Ce n'est pas pour me
déplaire. L'humanité, sortie d'Afrique retournerait-elle à
l'Afrique ?
J'arrête
là mon tour du monde, il y aurait tant à dire. En gros, bon an mal
an , l'humanité se débrouille, elle tâtonne, elle bidouille.
Finalement s'y on réfléchit...et on a sacrément le temps de
réfléchir... l'homme a des capacités d'adaptation extraordinaires,
il a pu s'adapter aux glaces, à la jungle, aux déserts ; là
encore, il s'adapte. Les récits d'anticipation nous racontaient la
conquête de l'espace, la vie sur d'autres planètes. Nous y sommes,
avec nos foutues Kombis, nous y sommes !
1460ème
jour après le Grand Confinement
Aujourd'hui,
c'est la Commémoration. La troisième. 4 ans déjà. Déjà...Mais
ça n'a pas de sens, on y pense tous les jours . Pourquoi
aujourd'hui plus qu'hier, ou demain. Rien à faire, je suis
totalement allergique aux commémorations, quelles qu'elles soient.
Aujourd'hui on pense, demain on reprend les affaires quotidiennes.
Et le pire : la minute de silence ! Mais le silence il est
partout maintenant, il est constant ! J'ouvre la fenêtre et
c'est le silence. Ce n'est pas le silence qu'il faudrait en ces
circonstances mais du bruit, un bruit énorme , un vacarme, des
hurlements ! Pas le silence !
On
a eu droit aux discours des Autorités. La langue de bois n'a pas
changé, et des toujours, et des jamais, et des trémolos dans la
voix. C'est pitoyable.Il faut changer notre langage. Désigner les
choses autrement. Je ne sais pas, moi...par exemple, le RUM serait le
moulin à rêves, les sorties autorisées seraient les heures
d'errance, le couvre-feu serait l'heure du loup.
Oui,
les loups se rapprochent ; on les a entendu près de l'île
Versailles. Le soir je guette mais ils ne se risquent pas encore dans
le cœur de la ville.
Où
j'en étais. Ah ! Oui ! Le langage. Ce sont les Lettristes
qui avaient raison, autour d' Isidore Isou. Je l'avait rencontré
dans une vie antérieure et on s'était engueulé pour des broutilles
politiques. Mais sur un point il avait raison, à monde nouveau il
faut des mots nouveaux, des mots inédits, des mots sans histoire.
Antonin Artaud aussi l'avait pressenti et Rabelais en son temps.
Bon,
j'arrête, il est tard, le couvre-feu est passé : l'heure du
loup. J'ai installé mon ordi dans la cuisine, loin du véphone,
avec une petite loupiote pour m'éclairer, mais je ne tiens pas à
avoir une visite des Vigilants. Comment les nommer ceux-là...les
loups ? C'est déjà pris !
1469
ème jour après le Grand Confinement
Une
visite des Vigilants ce matin. Je ne les attendais pas. Ce qui est
faux , en fait on les attend toujours , mais ils m'ont surpris.
J'étais à poil , intégralement à poil, et ruisselant ; je
sortais de la douche. Et ils sont entrés. Ils ne sonnent pas, ils ne
frappent pas, ils entrent .Quand je pense que, « dans le Temps
d'avant » on s'opposait à la pause d'un compteur d'énergie
qui risquait d'espionner notre vie personnelle ! Aujourd'hui
nous avons tous dû faire poser une S.A.A : Serrure Agréée par
les Autorités et un véphone qui fonctionne en continu.
Ils
ont été corrects, ils sont toujours corrects. Ils ont visité les
placards, ils ont compté et vérifié mes kombi. Je ne mets pas de
« s » à kombi, décision des Autorités approuvée par
une votation...Pour couvre-feu, c'est la même chose, il n'y a qu'un
feu par foyer, un feu c'est un foyer, ça c'est étymologiquement
plus logique ; je ne mets plus de x .
Ils
mon remis le dernier modèle de kombi puis ils ont vérifié par
véphone que c'était bien MOI. C'était bien MOI, ça m'a rassuré.
Parfois, en effet, je m'interroge, je doute.
Ils
sont repartis, toujours corrects, après m'avoir fait les
recommandations habituelles : respecter les horaires de sortie,
nettoyer et respecter les Kombi, respecter le couvre-feu,
respecter...respecter...
Les
Vigilants...Au départ il s'agissait de bénévoles qui visitaient
les personnes confinées afin de s'assurer que tout allait bien,
enfin pas trop mal, et puis...le Confinement s'est institutionnalisé
et eux de même. Leur rôle s'est amplifié, développé. Ils ont
devenus les agents des Autorités, défendant l'Ordre et la Loi.
Eux pensent qu'ils n'ont pas changé, leurs intentions n'ont pas
changé. Mais ils ont changé, sans le savoir, lentement,
inexorablement, comme chacun de nous.
Suis-je
bien MOI , sommes-nous bien NOUS ?
1478ème
jour après le Grand Confinement
Les
Autorités ont bien enregistré les résultats de la votation
n°... du ….et procéderont à la mise en œuvre des décisions
qu'ils impliquent. Combien de fois, par jour, voyons nous fleurir
cette formule consacrée sur le RUM. Les « petites votations »
sont quotidiennes ; elles portent sur tous les sujets et sont
parfois l'occasion d' épisodes quasi picaresques. Ainsi cette
histoire des poulaillers du 18ème district. Des habitants de ce
district, après avoir constaté l'approvisionnement irrégulier en
œufs et volailles lors de leurs achats dans l'alimentation
municipaliste ont réclamé sur le RUM la création d'un poulailler
de district. Ils ont initié une pétition qui a recueilli le nombre
de voix requis en vue d'appeler à une petite votation : un
quart des voix des habitants du district. La votation a eu lieu, le
poulailler a été créé. Peu de temps après , des habitants se
sont, sur le RUM, plaints du trouble engendré par les caquètements
perpétuels des volatiles. Une pétition a eu lieu , puis une
nouvelle votation. Le poulailler a été supprimé. Nouvelle plainte
des usagers du marché. Une commission de conciliation a été mise
en place par les autorités. On en est là pour le moment .
Je sens qu'on va s'amuser.
Parfois
les sujets sont plus importants .
Lorsqu'ils
concernent l'ensemble de la Société Communaliste, ils impliquent la
mise en œuvre d'une Grande Votation. Ce fut les cas pour la mise en
place des S.A.A. (serrures agréées par les Autorités). On a été
abreuvés sur le RUM pendant toute la campagne par des
vérireportages rapportés par des Vigilants témoignant d'anecdotes
sordides de personnes mortes et oubliées dans leur appartement, de
massacres, de tortures, j'en passe et de pires.
La
pétition ayant largement débordé le nombre de voix requis, la
Votation a été miraculeuse et la mise en œuvre rapide, au nom bien
sûr de la nécessaire sécurité des personnes. Quelques
récalcitrants, dont je m'honore d'être, se sont opposés à la pose
des serrures , mais quand ils se sont vus infliger une amende d'un
tiers des bons du SUV (Salaire Unique de Vie) il ont fini par
céder... moi de même.
Tout
ceci m'amène à une réflexion sur le pouvoir. Lors du Grand
Confinement, nous avons mis en place, peu à peu et devant le
délabrement du pouvoir central , une forme de pouvoir nouveau fondé
sur la démocratie directe. Il faudra d'ailleurs que je parle dans ce
journal des Autorités. Nous avons mis en place un pouvoir nouveau,
plus proche, moins corrompu, mais il reste un pouvoir .Un pouvoir
reste un pouvoir. Et je suis, et nous sommes, parce que je ne suis
pas le seul à penser ainsi... et je suis INSATISFAIT. Et je
m'interroge sur cette insatisfaction. Certains affirment que le
pouvoir est naturel. Justement, c'est ce qui m'interroge. Le pouvoir
est naturel dans la horde des loups, c'est celui du loup qui domine,
l'alpha... ce pouvoir est consenti tant qu'il l'exerce, sinon c'est
au autre loup qui aura le même pouvoir et l'exercera à son tour,
avant qu'un autre loup....Et cela est visible chez tous les animaux
sociaux : le pouvoir de la matriarche chez les éléphants , par
exemple. Chez l'homme le pouvoir produit une insatisfaction.
Je
suis amené ainsi à penser que le propre de l'homme ce n'est pas le
rire, décelable chez les chimpanzés et les rats, ni l'outil,
utilisé par la loutre, le poulpe, entre autres, mais c'est le REFUS
DU POUVOIR. Je suis un être humain parce que je refuse le pouvoir.
Je veux être libre, parce que je suis un humain. En aspirant à la
liberté, j'assume ma condition humaine. Vive la LIBERTE !
Une
des choses positives dans ce confinement, c'est que l'on peut penser
tranquillement, et paradoxalement, librement.
1481ème
jour après le Grand Confinement
J'en
ris encore .
Cette histoire m'a mis de bonne humeur pour toute la journée. Ce
matin, mon véphone était en panne. Je ne m'en suis pas aperçu,
mais je suppose qu'il a dû flancher vers 9h , car à 9h10 les
Vigilants affolés étaient là. Dans les minutes qui suivent ont
débarqué le SSP :Service de Sécurité des Personnes,
l'US :l'Urgence Sanitaire, la PID :Prévention des
Incidents Domestiques, l'AV. :Aide aux Victimes, les VS :
Voisins Solidaires, puis enfin le SVDO : Service de Vérification
des Dispositifs Obligatoires, le STA : Services Techniques
Agréés pour finir avec le Contrôleur de la Qualité faisant office
de CC Contrôleur de la Conformité. Devant mon balcon était
stationnée toute une écurie qui piaffait et embaumait.
J'étais
littéralement plié en deux à force de rire et je pensais à cette
scène de l'envahissement d'une cabine de bateaux d'un film des Marx
Brothers . A voir tous les sigles imprimés sur les kombi je pensais
que tout l'alphabet allait y passer ! Et ils me regardaient rire
avec consternation, et plus ils me regardaient, et plus je riais .
Finalement, le rire étant contagieux, ils ont consenti peu à peu à
se départir de leur sérieux officiel et réglementaire pour
partager légèrement ce rire, du bout des lèvres d'abord, puis plus
franchement ensuite.
En
attendant que la réparation soit effectuée et que soit déclarée
la clôture de l'incident, par le CQ faisant office de CC, j'ai
préparé pour tout le monde un « café »
(gland-églantine-chicorée), enfin ce qu'on persiste à nommer ainsi
et qui, malgré l'amertume ressemble de près ou plutôt de loin à
quelque chose qui ressemble à un café...Tout ce petit monde est
parti vers 11 h, me laissant seul avec ma joie et un véphone
fonctionnel, contrôlé, agréé, estampillé.
1494
ème jour après le Grand Confinement
Sale
temps aujourd'hui. Depuis ce matin, ça pleut ! Heures de
sorties supprimées, balcon interdit ! Ça pleut !
Autrefois, on disait il pleut, c'était impersonnel, un simple
constat. Aujourd'hui on dit « ça pleut, » ; « ça »
désigne quelque chose, quand ça pleut, quelque chose pleut. C'est
une menace, on ne prend plus de risque quand ça pleut, on reste chez
soi.
Cette
journée aurait pu être morose mais sur le RUM j'ai dégotté un
foRUM bien intéressant et pendant 2 heures nous avons échangé des
idées parfois inédites sur le thème pourtant classique :« qui
sommes nous ? où allons nous ? » C'est toujours
agréable, ces jours grisâtres, quand on ne sait comment occuper des
heures qui s'étirent, de dialoguer ainsi avec de parfaits inconnus.
La conclusion fut que le forum aurait dû s'intituler : comment
en est-on arrivé là ?
Je
vais tenter de résumer ici ce qu'il en est ressorti ; écrire
ces choses permet de les retenir avant que le brouillard temporel
n'en estompe les contours.
Après
le premier confinement, on assista à une tentative de restauration
de l'ordre ancien malgré les promesses et les beaux discours . Mais
cela ne dura pas. Quelques mois plus tard, et devant la prolifération
non plus d'un mais de nombreux virus, ce fut le début du Grand
Confinement et la Grande Colère. Tout s'effondra. En France le
boycott quasi général de la Présidentielle organisée sur
« l'internet » signa la fin d'un système. La sécession
de l'Occitanie, puis celle de la Bretagne entraînèrent la chute du
château de cartes des institutions. La Révolution Communaliste fut
étonnamment rapide, facilitée par le Confinement et le dé-serrement
de fait des liens inter-régionaux. Les Institutions mises en place
sont celles que l'on connaît aujourd'hui.
Nous
avons là un mode d'organisation politique qui tend vers une 'utopie
plus fouriériste que marxiste, dont les fondements sont la
démocratie directe, l'expression citoyenne, la révocabilité de la
représentation. Nous avons une société égalitaire, une économie
de répartition, égalitaire elle aussi, et quasi autarcique. Nous
avons un système de protection sociale exemplaire. Nous avons
contingenté la production et l'utilisation de l'énergie , développé
les énergies douces, Nous avons, par la force des choses protégé
l'environnement.
Bref,
nous devrions être heureux !
Mais
nous sommes pris dans une nasse dont nous ne pouvons trouver l'issue.
La menace sanitaire nous impose des contraintes de sécurité de plus
en plus sévères , de plus en plus impérieuses, de plus en plus
insupportables, de plus en plus contradictoires avec nos aspirations
et l'inspiration fondatrice de nos institutions .
A
la question : « où allons nous ? », nous
n'avons pas su, pas pu, répondre.
Nous
allons avoir encore, les jours de grisaille, de pluie et de vent, de
nombreux foRUM(s?) sur ce thème inépuisable.
1505éme
jour après le Grand Confinement
Bonne
nouvelle aujourd'hui ! J'ai tiré le bon numéro !
Enfin, ça fait un bout
de temps que je l'ai tiré, mais la nouvelle m'est arrivée ce matin
par véphone . Je vais aller au théâtre ! J'ai le droit à
une « sortie exceptionnelle autorisée pour un spectacle
organisé par la Mission Culturelle ». Quand on reçoit ce
genre de choses on ne tergiverse pas. Je ne sais même pas ce que je
vais aller voir mais ça n'a aucune importance.
Dans
le message reçu figure la litanie des recommandations habituelles.
Je vais repasser ma Kombi. A ce propos, vapeur ou pas vapeur ?
Eternel débat entre les épidémiologistes et autres sommités
médicales...
Bon,
là j'arrête, j'ai rendez-vous à l'arrêt du tramval dans une
heure ; oui, on dit tramval maintenant, tram-cheval, c'est trop
long, c'est passé de mode. Certains disent même : on va
prendre le Val.
C'est
fou la façon dont nous sommes envahis par les acronymes, les
élisions, les apocopes et autres aphérèses : une mine pour
les linguistes ! A monde nouveau, langue nouvelle...oui je sais,
j'en ai déjà parlé, mais ce sujet me passionne. J'ai dit :
j'arrête !
............................................................................................
Je
suis revenu.
C'était pas mal, sans plus. C'est la quatrième mise en scène de
Richard III que je vois. Finalement le fait que les comédiens soient
en Kombi ne m'a pas gêné. J'ai vu Richard III en costumes
historiques, Richard III en habits de clown, Richard...III en
complets-vestons-cravates, alors en Kombi, pourquoi pas !
Ce qui était vraiment plaisant c'était de se retrouver dans une
vraie salle, avec un vrai public, de participer à cette respiration,
de ressentir ces émotions ! C'était vraiment différent des
spectacles auxquels on assiste sur le RUM. L'interactivité, même
bien « artificialisée » comme on sait le faire
maintenant, ne peut restituer cette respiration d'une salle.
Je
ne critique pas, je constate. Mettez ça sur le compte de la
nostalgie ! je sais que le système mis en place a sauvé la
création culturelle et le spectacle vivant, qu'ils reviennent de
loin, qu'il suffit de choisir son programme, de présenter sa
carte-aux-bons au véphone pour que les artistes soient directement
rétribués....dans la limite du Salaire de Vie ! Comme chacun,
je sais cela, et comme chacun j'éprouve comme un regret...
Aîe !
Mes rutabagas vont être archi-cuits...ou peut-être devrais-je dire
mes « rutas »...ou mes « ruts », non ce
diminutif me paraît mal approprié !
1523ème
jour après le Grand Confinement
Grand
jour que ce jour ! On va renouveler une partie des Autorités.
En effet sur les 12 Représentants, 4 ont obtenus une note inférieure
à 5 lors du dernier classement mensuel et 2 ont été victimes d'une
Votation défavorable...en particulier Patrice M....qui s'est
ridiculisé dans l'affaire des poulaillers du 18ème district ;
j'en ai parlé je crois.
J'ai
vu la tronche des 24 personnes tirées au sort. On ne sait pas
grand-chose : leur âge, compris entre 18 et 65 ans, comme
l'exige la loi, leurs noms bien sûr et c'est tout. Les photos
exhibées sont semblables à nos anciennes photos d'identité, elles
sont totalement neutres. Pas de programme, pas de grandes
déclarations, de discours ni de promesses ! Cela peut paraître
frustrant c'est certain, mais les grands débats politiques auront
bien lieu : ils auront lieu après ! Car c'est « sur
le tas » que ces personnes devront faire leurs preuves. Elles
seront jugées sur leurs actes, leurs initiatives , leurs décisions,
et au moindre manquement il suffira de deux notations insuffisantes
successives ou d'une votation pour qu'elles retournent à l'anonymat.
En les regardant, je savoure ma chance, je suis dans une tranche
d'âge qui n'est plus concernée, je suis électeur, je ne serai
jamais candidat malgré moi ...oui , j'ai omis de le mentionner , si
le sort vous désigne il vous est impossible de vous désister.
Il
me faut donc voter.
« ça
sera toi qui sera le chat,
mais
comme le roi ne le veut pas
ce
ne sera pas toi ! »
Pas
toi !`
En
voilà un déjà d'éliminé !
« Un
petit cochon
pendu
au plafond
tirez
lui la queue
il
pondra des œufs
combien
en coulez-vous ?
Trois !
Un,
deux ,trois ! »
pas
toi !
En
voilà une autre !
«
La peinture à l'huile
c'est
plus rigolo
mais
c'est bien moins beau
que
la peinture à l'eau ! »
le
numéro 22 peut retourner à ses activités habituelles !
« Faire
pipi dans un tonneau
c'est
rigolo
mais
c'est salaud ! »
(
J'adore)
Exit
le numéro15 !
J'ai
fait : rondin picotin, am stram gram , bien sûr , puis
une souris verte, au clair de la lune trois petits lapins, escargot
de Bourgogne, à la couronne je te la donne, Charlemagne roi
d'Espagne, Napoléon monte en avion, une poule sur un mur, pigeon
vole, pomme de reinette, dis-moi-oui dis-moi-non, Bibi Lolo de
Sain-Malo, combien faut-il de clous, Pim Perroquet c'est le roi des
papillons...
J'ai
passé un excellent moment et j'ai les six élu-e-s de mon coeur: les
numéros 3, 7 ,11,17, 20, 23. Je jetterai ce soir un coup d'oeil
sur le RUM pour voir le résultat final.
Peu
importe d'ailleurs... Mais je conserve ces numéros, je les jouerai
samedi à la Loterie Communaliste, ils me feront peut-être gagner un
petit supplément de bons et de bonheur !
1533ème
jour après le Grand Confinement
Ce
matin il faisait beau. Je me suis installé sur le balcon, dans ma
« Cloche », avec une tasse de cette mixture qu'on n'ose
même plus nommer du Thé et que l'on commercialise sous
l'appellation de « T », comme si l'on
n'osait plus ajouter d'autres lettres. Il faisait encore tiède,
j'étais à mon aise et absorbé par le récit de Nicolas Bouvier :
L' Usage du Monde » que je relisais avec délices pour
la énième fois.
Je
n'ai pas entendu la petite musique extraite des Gymnopédies d'Eric
Satie qui m'appelait à mes exercices de « Mise en
Forme » matinaux. Ce sont les Walkiries de Wagner qui en
rugissant m'ont rappelé à l'ordre. La voix du véphone m'a
demandé les raisons de mon manquement, j'ai bredouillé une réponse
indistincte, on s'est enquis de ma santé, j'ai dû approcher mon
front pour que ma température soit prise, j'ai dû écarquiller les
yeux pour qu'on contemple mes pupilles, il m'a fallu conter par le
menu mon régime alimentaire, j'ai dû exhiber mes boîtes
d'anti-histaminiques pour qu'on fasse le compte des comprimés, j'ai
dû présenter l'état de mes Plantations...Tout était aux normes.
Alors j'ai subi un discours plein de remontrances dans lequel il
était question de la Communalité qui se soucie du bien-être des
citoyens, du coût de la santé pour la dite Communalité et de
l'inconséquence des individus qui ne prennent pas soin d'icelle.
J'ai dû promettre de me ressaisir. J'ai été pardonné « à
condition que l'on ne m'y reprenne plus ».
Résultat
de cet épisode : je ne suis plus à l'aise du tout ! II
est midi et ce foutu véphone m'a coupé l'appétit. Je suis comme
un gamin pris en faute et que l'on a grondé. « Promis, je ne
le ferai plus » ai-je dû assurer . Je m'en veux de cette
réponse, de cette régression, mais n'ai pas d'autre choix.
Le
véphone est là...pour notre bien, comme le répètent
inlassablement les slogans : le Véphone Veille pour Vous ...
le Véphone sauVe des Vies !
Et
celui-ci que j'apprécie particulièrement pour sa complexité
quasi métaphysique: le Véphone Vous VOIT mais le Véphone c'est
VOUS !
1545émé
jour après le Grand Confinement
De
mon balcon, sous la cloche, je regarde passer les gens qui profitent
de leur « Sortie » En cette fin du printemps le temps est
splendide et la matinée n'étant pas encore avancée, la chaleur est
encore supportable. Les kombis se sont parées de couleurs.
Certaines sont éclatantes, décorées de motifs empruntées aux
cinéma et à la BD héroïques ou fantastiques, tels les costumes
des catcheurs arrivant sur le ring, d'autres sont plus romantiques,
aux couleurs pastel, décorées de motifs floraux, glycine,
volubilis, ou humbles pâquerettes. Les chiens parés de casaques
vives semblent des petits chevaux harnachés pour la course. Parfois
l'on se connaît et se salue aimablement, en s'inclinant à la
japonaise.
Ma
« Sortie » est prévue à 15 h, il fera chaud, je
mettrai ma kombi légère, d'un bleu lavande, on la sent à peine sur
la peau. J'ai reçu mon autorisation hebdomadaire pour me rendre à
l'alimentation communaliste, ma carte-aux-bons est pleine en ce début
de mois et il paraît qu'il y a abondance de fruits et de légumes.
Serait-ce la fin du rutabaga ? Ça ne serait pas étonnant :
dans l'aire urbaine , quasiment tous les espaces disponibles ont été
mis en culture, si l'on excepte les sites classés « espaces
naturels », refuges de la flore et la faune sauvage ( dont « la
savane », devant mes fenêtres : ouf !)...
L'ancien « miroir d'eau » est aujourd'hui une immense
fraiseraie, surveillée jalousement nuit et jour par un troupeau
d'oies. Cette précaution est inutile dit-on ; je suis ,
aujourd'hui, étant de bonne humeur, disposé à le croire.
On
prétend sur le RUM, statistiques à l'appui , que ce qu'ils vivent,
depuis cinq années de crainte, d'austérité , de frugalité, aurait
rendu les gens plus tolérants, plus altruistes, moins égoïstes que
dans les temps de la « Consommation ». C'est bien
possible, car nous vivons dans une société complètement inédite,
nous assistons à des évolutions des mœurs , de la pensée, de la
culture, que nous avons du mal à comprendre, à analyser, tout
simplement à saisir- et qui progressent à une vitesse
étourdissante.
Le
thème du prochain foRUM pour lequel je me suis inscrit et qui aura
lieu demain s' intitule « hier et aujourd'hui » : on
va faire du tri !.
J'arrête pour
aujourd'hui, il me faut quitter ma contemplation balconnière ( cet
adjectif n'est pas reconnu mais en ces temps où tout bouge, tout
change, n'hésitons pas !) pour faite un inventaire et ma liste
d'achats.
1552ème
jour après le Grand Confinement
Un
peu de rangements de placards en attendant l'heure de « Sortie ».
Une pile de bouquins chute,je me prends les pieds, tombe...tombe sur
cette page ouverte, que je lis :
"Voici
encore un malheur qui m’arriva en plus du reste : au dehors et au
dedans de chez moi, je fus assailli par la peste, une peste des plus
violentes entre toutes... Je dus supporter cette étrange situation :
la vue même de ma maison m’était effroyable. Tout ce qui y
restait était laissé sans surveillance, abandonné à qui pouvait
en avoir envie. Moi qui suis si hospitalier, je dus péniblement me
mettre en quête d’un refuge pour ma famille, une famille frappée
d’égarement, qui faisait peur à ses amis et à elle-même, et
causant l’horreur à chaque endroit où elle cherchait à
s’arrêter, et contrainte à changer de demeure aussitôt qu’un
membre de la troupe venait à ressentir une douleur au bout des
doigts... dans ces moments là, toutes les maladies sont prises pour
la peste : on ne prend même pas le temps d’essayer de les
reconnaître. Et le pire c’est que, selon les règles de la
médecine, pour tout danger que l’on a pu approcher, il faut rester
quarante jours dans les transes de l’incertitude, l’imagination
vous tourmentant pendant ce temps comme elle le veut, et vous rendant
fiévreux, vous qui étiez en bonne santé. Tout cela m’eût
beaucoup moins atteint, si je n’avais eu à me soucier de la
peine des autres et à servir misérablement de guide durant six mois
à cette caravane...
Montaigne,
Les Essais, t.3
chapitre
12
Le
hasard surréaliste a bien fait les choses...ou est-ce quelque
démiurge confiné lui aussi quelque part, dans le placard, et qui,
libéré, éprouve le besoin de se manifester en me jouant ce tour ?
J'ai
vérifié sur le RUM : à l'époque, on ne confinait pas, on
fuyait. Des villes entières se jetaient sur les routes, tentant
d'aller plus vite que la course du virus, pour lui échapper. Six
mois en vadrouille en famille, rencontrant, croisant, au hasard des
routes et des auberges , des granges , d'autres fuyards ne sachant où
aller ... avec de surcroit la crainte de porter le fléau et la
méfiance justifiée à l'approche d'inconnus, porteurs peut-être
eux aussi. Voilà qui m'apaise et me réconcilie avec mon temps
difficile. Je vais doucement siroter mon T aux ingrédients obscurs,
puis j'enfilerai sagement ma Kombi ridicule afin d'errer en toute
quiétude par les rues, embaumées de ce parfum subtil qui mêle le
fumet du crottin de cheval et la senteur opulente des fleurs
d’acacia.
1561ème
jour après le Grand Confinement
Avant
de sortir ce matin j'ai consulté le bulletin virologique qui n'est
pas trop inquiétant. Dans le temps on consultait le bulletin
météorologique mais depuis que covid19, qui s'était bien plu dans
notre environnement a invité ses petits copains covid21, covid22, et
une flopée d'autres petits corpuscules tout aussi sympathiques,
avant de s'effacer pour leur faire place, nous avons droit aussi au
bulletin virologique.
Il
y a quand même une chose que je ne comprends pas : dans la
mesure où nous sommes tous confinés, soit dans la kombi, soit dans
notre logement, comment se fait-il que ces virus, sans nourriture
humaine suffisante, puissent ainsi prospérer. ? Cette question,
je ne suis pas seul à la poser, elle tourmente de plus en plus de
nombreuses personnes. Les spécialistes, régulièrement interrogés
dans les foRUMs ont des réponses contradictoires ou évasives. En
fait ces petits êtres charmants qui se sont développés dans le
désordre du monde d'avant, tâtonnent, essaient de se faire une
place, puis renoncent, disparaissent, au profit d'autres êtres non
moins charmants...
Non,
là je plaisante, c'est une explication quelque peu
anthropomorphique !..
Cette
absence de réponse scientifique unanime permet à certains de
développer ces théories complotistes qui fleurissent su le RUM, qui
contestent le bulletin virologique, qui dénoncent une
mystification. Ces théories sont d'autant plus prégnantes que le
moteur même de l'édification de notre société est cette pollution
virale. Tant que l'on n'aura pas répondu clairement à cette
interrogation, le doute persistera et progressera. Cette société
bien sûr est difficile à vivre par les limites qu'elle met à notre
liberté, limites que justifie l'insécurité sanitaire ; d'un
autre côté elle répond à des idéaux de justice, d'égalité , de
solidarité, de partage, de respect de l'environnement. Je ne pense
pas que la majorité des personnes veuille revivre ce qu'elles ont
vécu auparavant, mais si la contrainte sécuritaire disparaît, rien
ne prouve que les vieux démons ne se manifesteront pas ; tout
ce qui s'est construit ces dernières années est encore fragile.
On
n'a donc aucune certitude sur l'évolution future et tant qu'on
n'aura pas répondu clairement à la question posée , tant que le
confinement s'imposera sans que sa justification soit ré-actualisée
ou abolie, le ver sera dans le fruit et continuera à le ronger.
Sur
ces fortes pensées, je revêts sagement ma kombi, d'un jaune canari,
accordé au soleil matinal... et je sors m'aérer d'un bon air
filtré..
1570ème
jour après le Grand Confinement
Lorsque
je relis le journal je m'aperçois qu'on s'est installé dans le
« système », moi comme les autres, comme si c'était la
fin de l'histoire . Dans une sorte de confort restreint on a
trouvé nos habitudes , on s'est plié aux contraintes dans un
renoncement consenti à toute perfection. Et depuis quelques jours ,
les choses évoluent.
Cette
affaire du Bulletin virologique commence à faire beaucoup de
bruits ; le crois qu'on va vers une votation..Il va falloir que
les Autorités répondent clairement. Un certain nombre de
manifestations visuelles ont eu lieu sur le RUM, qui ont réuni de
nombreuses personnes. J'ai ajouté ma noble figure à certaines
d'entre elles car je pense qu'on a vraiment besoin de réponses
claires.
C'est
amusant d'ailleurs qu'on ait gardé le terme de manifestation, on a
juste changé la manière puisqu'il s'agit de bloquer en quelque
sorte l'écran pendant plusieurs heures en occupant le maximum de
FoRUMs . Ce droit est sinon reconnu officiellement, du moins
toléré. Hier on a tenu quatre heures, on a eu affaire à quelques
contre-offensives, ça a pas mal cafouillé à certains moments !
J'ai eu droit ce matin à l'appel traditionnel du véphone qui a
vérifié que j'étais bien l'auteur de ma Présence, et ce « dans
le but de certifier les statistiques qui seront publiées ».
Tout cela est normal, ordinaire, bien rôdé sinon rassurant. Donc,
on attend la suite !
Rien
de bien notable aujourd'hui . Il est 15h, il fait beau, il fait
chaud ; le soleil tape sur la cloche et je vais attendre un peu
avant de griller sur le balcon. Les habitants de la savane, un peu
abattus par la chaleur font la sieste. J'hésite entre écouter un
concert synchronisé organisé par les musiciens du 9ème district ou
regarder la diffusion commentée des œuvres des artistes plasticiens
du CAC (Conservatoires et Ateliers Communalistes) du13ème. Je vais
devoir, pour cela consommer quelques bons qui financeront directement
les artistes.
On
est en fin de mois, je dois être économe... il me faut faire un
choix : musiciens ou plasticiens ?
1585ème
jour après le Grand Confinement
C'est
la crise !
La
Commission d'enquête `a publié ses réponses. C'est assez complexe,
mais...voilà ce que j'ai compris.
Les fameux capteurs, placés dans des endroits sélectionnés avec
soin : poignées de portes, tramvals, sonnettes des
immeubles...relèvent un taux de virus présumés offensifs avant que
soient analysés des prélèvements. C'est ce taux qui est communiqué
quotidiennement. L'analyse a forcément lieu a posteriori. Soit le
virus est identifié, auquel cas il est classé, offensif ou sans
danger, soit il est inconnu et des recherches qui peuvent prendre
des semaines ou des mois sont entreprises pour pouvoir le
« classer ».
Autrement
dit, certains jours, certaines semaines nous nous protégeons contre
un danger qui n'existe pas, mais en vertu du principe de précaution,
nous devons faire « comme si...».Cet hiver, les analyses n'ont
mis en évidence que des virus bien identifiés, classiques, des
agents de la grippe ! .La pensée que, à chaque instant, nous
devons nous plier à des contraintes qui très souvent sont inutiles
est proprement insupportable !
Ça
chauffe sur le RUM et même dans la rue !
Dans certains districts, des gens sont sortis sans Kombi. Les SSP ont
dû intervenir mais ont été débordés. D'après des informations
trouvées sur le RUM, ce qui se passe ici a des répercussions un peu
partout dans le monde, en Moravie, en Sénégambie, dans le
Leinster....partout les gens interrogent et parfois s'insurgent.
Les
Autorités paraissent dépassées, perdues. Rompre le Confinement et
les mesures de protection pourrait être catastrophique... ou pas...
Mais s'il y a rupture c'est tout un édifice qui, perdant sa
justification,i risque de s'écrouler. De plus, en cas de nouvelle
catastrophe ces mêmes autorités seront rendues responsables.
Je
suis cependant convaincu que la vraie motivation de leur hésitation,
de leur bégaiement, de leurs discours alambiqués est leur manque de
confiance. Je ne suis pas certain que les personnes voudront revenir
au « Monde d'Avant ». Je crois que nous avons tous
beaucoup appris. On va bien voir puisque les évènements se
précipitent. Mais il est l'heure de ma Sortie...
Mettrai-je
ma kombi ? Je regarde dehors , il y des gens avec et des GENS
SANS...
J'irai
sans !
1599ème
jour après le Grand Confinement
Je
reprends ce journal interrompu pendant près de deux semaines.
Les
choses vont si vite et nous avons été tellement occupés par les
votations, que je n'ai pas vu le temps passer. Je crois qu'on a voté
à peu près tous les jours et sur tous les sujets ! Parfois dix
votations en une journée !
Maintenant
ça se calme. Je vais tenter de faire le point.
D'abord
on a désigné de nouvelles autorités, les anciennes ont dû
démissionner après trois mois d'exercice.
Ensuite
on a voté un grand nombre de mesures. En gros ça donne cela :
Suppression
du port de la Kombi et des «Heures de Sortie »
Suppression
de véphone obligatoire sauf chez ceux qui veulent le garder pour des
raisons de sécurité
Maintien
de la communalisation des productions industrielles, agricoles,
culturelles et de services
Maintien
du contingentement de la production énergétique (...Super, j'adore
le tramval!)
Maintien
de la répartition du temps de travail et du Salaire de Vie
Maintien
du mode de désignation par votation des élus à tous les niveaux de
responsabilité de l'entreprise au district et à la Communalité
Maintien
de le révocabilité des élus par votation et donc maintien du droit
de pétition et de votation
Maintien
de la division de la Communalité en districts et de leurs
structures d'administration, de services, des marchés, des lieux de
production , des ateliers et lieux culturels
Finalement,
comme je l'avais pensé les gens n'ont pas renoncé à un mode de vie
sobre qui leur assure la tranquillité d'esprit, pour l'échanger
contre l'illusoire abondance qu'ils ont connue jadis.
Et
là, juste à l'instant, je regarde le RUM : on va se fédérer !
Il va y avoir une votation sur un processus de fédération ente les
Communalités d'Armorique et du Pays nantais.
Non
ce n'est pas la fin de l'Histoire, la fin de l'Utopie...L'Histoire,
la vieille taupe, continue sa besogne : creuser et resurgir là
où l'on ne l'attend plus !
1600ème
jour après le Grand Confinement
J'ai
passé la journée et la nuit dehors, sans kombi ! J'avais
l'impression d'être quasi nu.
Les
gens étaient joyeux. Tous avaient revêtu des habits qu'on ne voyait
plus depuis plus de cinq ans ! Finies les salutations à la
japonaise. On s'embrasse, on s'enlace, on serre les mains.
On
a ressorti les tables des terrasses, finies les pailles, finies les
soupes-pailles!
C'est
une fête incroyable ! Il y a des musiciens partout, qui jouent
ensemble ! Finis les concerts synchronisés ! Il y a des
artistes de rue, jongleurs, acrobates, clowns ! Partout des
draps sont tendus, on écrit des poèmes, on dessine , on peint.
Il y a aussi des feux de joie, et malgré les avertissements des
Autorités « gardez les elles pourraient resservir »,
on brûle des kombis.
Et autour des feux, la nuit venue, on danse ! On danse !
Adultes
, enfants et ceux qui ne sont plus :« les vieux » font
des farandoles en se tenant les mains.
Je
suis harassé mais bien trop excité, je crois que je ne vais pas
dormir. D'ailleurs j'entends comme une sorte de fanfare endiablée
sous mon balcon, je vais voir ce qu'il se passe. Je sors ! Je
sors !...En caleçon et tee-shirt !...
FIN
Ce
journal, retrouvé lors de fouilles archéologiques s'achève là ;
Il est conservé et publié par le CEE (Centre des Etudes Européennes
) de l'Université d'Abidjan (Fédération Africaine) – avril
2721.
Vous
pouvez, si vous le désirez imaginer la suite, consulter certains
ouvrages dont voici une liste non exhaustive :
Jean-Amadou
Traoré : Histoire Contemporaine- tome I : les origines-
Le second Moyen-âge européen- - Ed - CEE- Abidjan – 2721 –
Frontal JATMA00JATDH21
Aponi
Ashaïsha : Histoire des 20ème et 21ème siècle - Les
causes de l'Effondrement : le marché, une utopie suicidaire -
Université amérindienne du Québec – 2725 –
Frontal
AAQH00AAE25
William
Smith : Du morcellement à la Reconstruction- Les soubresauts du
monde dans la période intermédiaire – Petite bibliothèque
historique - Créteil- 2719-
Frontal
WSC00WSMH19
Astrid
Martin-Monnier : Abondance ou sobriété- Etude de l'impact des
théories économiques dans le monde « post-moderne »c
- Ed de l'Erdre - Nantes 2723
Frontal
AMM00AAMAS23
ou
tout simplement, connectez votre Frontal sur votre excellent
Cours d'histoire en 3D à destination des écoles, si vous le
possédez encore – sinon voici sa référence :
Ministère
Ouest-Européen des Educations – Cours d'histoire section 7 :
le Second Moyen-âge –Frontal MEOE00ESHD07
...et
laissez vagabonder votre imaginaire....
Un
extrait pour finir, et susciter votre intérêt :
Jean-Amadou
Traoré : Histoire Contemporaine- tome I : les origines-
Le second Moyen-âge européen- - Ed - CEE- Abidjan – 2721 –
Frontal JATMA00JATDH21
Introduction
Il
ne s'agit pas dans cet ouvrage de faire une étude factuelle de la
période que l'on a pour habitude de nommer : Le Second Moyen
Age Européen mais d'analyser et d'en comprendre les évènements .
Cette
période a vu en effet se disloquer les grands ensembles politiques
et économiques qui caractérisent ce que les historiens désignent
comme « Les Temps Modernes ». Nous étudierons les
facteurs de cette dissolution politique, facteurs écologiques,
sanitaires d'abord, les deux étant bien entendus étroitement liés,
puis les facteurs sociaux, économiques et culturels.
Nous
étudierons plus particulièrement l'exemple français qui paraît
caractéristique. En effet la troisième décennie du 21ème siècle
a vu l'effacement du pouvoir central, conséquence directe de la
CRISE SANITAIRE (2020-2026), et un morcellement du territoire
national avant une recomposition bien plus large. Ce morcellement et
cet effacement nous le constaterons, sont à la fois, comme les
historiens l'ont largement démontré, la conséquence de la crise
économique mondiale qui suivit la crise sanitaire ( affaiblissement
des courants d'échange de biens et de personnes, baisse de la
production des biens, pénuries ) mais aussi, ce que montre
précisément notre étude, de facteurs intrinsèques, d'une crise
idéologique et culturelle : la confiance dans le dogme du
Marché qui cimentait les systèmes nationaux aussi bien
qu'internationaux s'effondre sur le territoire historique français.
Cette
période de doute, de recherche, de tâtonnements et d'essais, que
l'on nomme aussi, période intermédiaire, mérite notre intérêt.
Souvent considérée par les historiens comme trouble, opaque,
confuse, elle est au contraire inventive, créative, imaginative.
C'est de ce creuset bouillonnant que sont issus les « Temps
Nouveaux » que nous vivons depuis des siècles. Ce sera ce que
nous démontrerons .
un
peu flamboyante,
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