Accéder au contenu principal

Journal du Grand Confinement


Journal du Grand Confinement 

1337ème jour après le Grand Confinement

Devant mon balcon, c'est vraiment la savane...Dans l'herbe haute hier soir, au coucher du soleil j'ai vu un renard. Cela n'a pas l'air de troubler les chats, apparemment il ne les chasse pas, quant aux poules sauvages elles ont appris à se réfugier dans les arbres ; je pense qu'il doit manger les rongeurs. Ensuite je n'ai plus rien vu,la nuit est tombée, c'était l'heure du couvre-feu . J'ai fermé mes volets et éteint mes lumières d'autant que j'ai entendu passer une patrouille de vigilants.

Aujourd'hui, jeudi j'ai le droit de sortir à  « l'heure des vieux » . Il va encore falloir enfiler cette foutue Kombi , j'ai horreur de ça ! D'autant que je dois enfiler l'ancien modèle, celui qui s'attache dans le dos...Le modèle récent est dans le lave-linge. Et puis j'ai horreur aussi de me retrouver avec des gens qui ont tous mon âge. C'est déprimant !
Une chose me réjouit cependant : pour aller en ville je vais prendre le tram-cheval...J'adore., ça c'est le côté positif de la disparition des véhicules individuels.

J'ai préparé ma liste de courses. J'en ai un peu marre du riz , des pâtes, et du rutabaga. Je ne comprends pas pourquoi en période de crises on de rabat sur le rutabaga ! Pendant la guerre mondiale les allemands avaient réquisitionné les patates, mais là ? Je ne comprends pas. Plus assez de cultivateurs peut-être...Malgré tout la répartition du temps de travail, c'est une bonne chose. Le mois prochain mon fils aîné doit travailler, il va faire  « son temps » comme on dit, le mois dernier c'était celui de sa compagne. Avec le SUV « salaire unique de vie », ils ne s'en sortent pas trop mal, d'autant qu'un tas de choses inutiles aujourd'hui ont complètement disparues .
Dimanche je vais pouvoir aller les voir : jour de circulation...Mais avec le port de la kombi obligatoire pour les réunions de plus de 4 personnes, je n'irai pas pour le repas. Siroter la soupe et le vin avec une paille ce n'est pas...ma tasse de thé !



1340ème jour après le Grand Confinement


Ce matin , je suis allé sur mon balcon, mais c'était inhabituellement bruyant, on est en train de transformer l'école d'en face en écurie pour les services publics. Depuis le temps qu'elle dormait ! J'ai préparé mon repas :patates, carottes et l'inévitable rutabaga, puis il y a eu la Coupure. Je n'avais pas regardé les horaires et j'ai dû finir avec mon camping-gaz, sur le balcon, en plein boucan. Le problème avec les coupures d'énergie c'est que les horaires varient de jour en jour. Il paraît que les Autorités vont se mettre d'accord pour un « zonage » des coupures. Un jour l'ile de France, un jour la Bretagne, un jour...ce n'est pas pour demain ...d'ici qu'ils arrivent à se mettre d'accord ! Les Autorités ... depuis la quasi-disparition d'un pouvoir central on hésite entre le féodalisme et le communalisme. A Marseille, c'est clair, le pouvoir appartient à un consortium de véritables seigneurs de la guerre. Il fallait s'y attendre ! Ici, on se dirigerait plutôt vers le communalisme, ce qui n'est pas pour me déplaire, moi qui suit un admirateur de la Commune de Paris.
........................................................................................................................
Je reprends le journal, j'étais allé croquer une pomme. Ce n'est pas anodin ! Avec le retour à la vie sauvage de nombreux arbres fruitiers et leur prolifération, on a retrouvé des saveurs oubliées. Les pommes d'aujourd'hui me rappellent celles de mon enfance, quand le dimanche, avec la Citröen « 11 berline légère » on allait le dimanche gauler des pommes « à la campagne ». Nostalgie...
Ah ! Oui j'oubliais ! Hier dimanche je suis allé voir la famille. On a eu la riche idée de faire manger les enfants dans une pièce et on s'est attablé dans une autre, ce qui fait qu'on a pu ôter nos kombis. C'était limite...On a contourné à notre façon « la règle des quatre». Heureusement, on n'a eu aucun contrôle.
A propos de contrôle, avant-hier des vigilants sont venus chez moi. La femme était plutôt correcte, mais le type était détestable. Il a voulu visiter mes « Plantations » et il m'a arraché un plan en prétextant que j'avais dépassé le quota. Il ne l'a pas détruit, en tout cas je ne l'ai pas vu le faire. Je soupçonne ce gars d'être un trafiquant.
Bon, ça va bientôt être l'heure des vieux ». je vais en profiter pour aller au PMD ( potager municipal de district ) pour cueillir une salade et des carottes. Il ne faut pas cette fois que j'oublie ma Carte-aux-bons. L'autre jour je l' avais oubliée, et comme on n'a le droit qu'à une sortie quotidienne...La surveillante du mois est sympa, si je lui explique, elle me laissera peut-être cueillir deux salades.



1353éme jour après le Grand Confinement


J'ai passé la matinée à surfer sur le RUM ( réseau unique mutualisé). J'en ai profité pour revoir Les Temps Modernes de Chaplin ; vraiment génial, mais le message a perdu de son acuité. Ce film n'aura pas la même signification pour les générations qui le verront (?) dans 20 ou 30 années...une valeur de témoignage historique peut-être. Difficile de caractériser les temps que nous vivons : un mélange de modernité, des relents de moyen-âge et même un retour à l'époque des cueilleurs-chasseurs.

Sur le RUM on trouve tout et n'importe quoi. Faut juste trier. Aux débuts on était envahis par les trolls mais comme chacun a la main, ça c'est peu à peu décanté. Il y a de plus en plus de « scruteurs », moi-même il m'arrive de scruter. C'est un acte civique comme le répètent les Autorités.
La nouvelle kombi...je sais , je parle beaucoup des Kombis , mais c'est une préoccupation constante ! La nouvelle kombi, celle qu'on a livrée cette semaine est vraiment plus légère, plus confortable et l'idée de lui rajouter des poches hermétiques...ça change tout.
Mais pas de sortie aujourd'hui, pas de balcon, et jour chômé pour les travailleurs « de mois ».
C'est la Débi (désinfection bimensuelle des espaces publics). Je regarderai par la fenêtre. Les poules, les canards, les chats, les lapins, toute la petite faune sauvage a bien observé qu'on arrosait seulement les chaussées et les murs. Alors, comme moi, depuis sa savane, elle observe.
Ah ! D'ailleurs , il y a un nouvel habitant dans ma savane. Un kangourou ! Si ,si, un véritable et indubitable kangourou !Je ne sais pas d'où il sort, mais on ne s'étonne plus de rien . Il y a des sangliers en ville, des moutons , des ragondins et même des castors sur les rives de l'Erdre ; et il paraît qu'une meute de loups rôde la nuit du côté de Rezé. J'ai vu une vidéo sur le RUM mais la provenance est douteuse. J'ai d'ailleurs rédigé un ASC (avertissement du scruteur).






1363éme jour après le Grand Confinement ou 1364ème , il faudra que je vérifie, mais ça n'a pas d'importance !


Encore une journée passée sur le RUM. Mes yeux fatiguent mais ça valait le coup.
En fait, je crois que tiens une sacrée cuite.
Bon, j'explique, je tente...
De scruteur je me suis fait scrutateur...

On a gagné ! On a gagné !

80 %de oui ! C'est rare pour une votation !
Tout a commencé par une pétition en ligne pour demander aux Autorités la suppression de l'heure des vieux, puisque c'est ainsi qu'on la nomme. Dans la langue polie et policée des Autorités c'est : l'heure autorisée des sorties pour les aînés On a rapidement obtenu les 15000 signatures nécessaires et donc c'est parti pour la votation. La proposition est simple : au lieu de répartir les sorties quotidiennes selon les deux derniers chiffres de la date de naissance, il suffit de tenir compte du dernier chiffre et d'organiser un roulement.
Bon, dit comme cela, ça paraît compliqué ...je comprends.
Alors je montre.

Sorties autorisées-Printemps et été
Heures : (dernier chiffre de la date de naissance)
lundi
7h -10h numéros 1 et 2
10h-13h numéros 3 et 4
13h-16h numéros 5 et 6
16h-19h numéros 7 et 8
19h-22h numéros 9 et 0
22h couvre-feu

mardi
7h-10h numéros 3 et 4
10h-13h numéros 5 et 6

Et ainsi de suite jusqu'au dimanche, c'est clair, non ?

Le dimanche il n'y a que deux tranches : de 9h à 15h et de 15h à 21h., on permute les numéros chaque semaine, ainsi chacun peut participer à midi ou le soir à une soupe-pailles entre amis ou en famille. Pour moi, ça ne change rien ; je suis allergique à la soupe-paille, je trouve ce truc totalement régressif . Il me fait trop penser aux grenadines de mon enfance.
A ce propos, je débouche une autre bouteille de champagne, et comme je ne peux la garder...Je vais la vider !

On a gagné ! On a gagné !On a gagné ! On a gagné !

Je suis complètement bourré, ou beurré, ou barré ! Ah ! C'est bien trouvé. Faudra que je le re-serve quand j'aurais l'occasion ! Là j'arrête !
............................................................................................................................................Je ne sais pas l'heure qu'il est.
C'est sans doute l'heure du couvre-feu, à moins que je ne l'aie dépassée.
Je reprendrai ce fatras demain ... ou un autre jour.






1370ème jour après le Grand Confinement



Je reprends mon journal , de plus en plus épisodique. Et pour cause ! Les jours se succèdent dans une monotonie désespérante. Le jour vécu ressemble au jour passé. Le moindre petit incident prend pour cela l'allure d'un événement. Un verre cassé et c'est un monde qui se brise ! Les plantations autorisées ne suffisent plus pour colmater l'édifice moral. On trafique des substances psychotropes lors des sorties quotidiennes .La plupart des personnes se réfugient, enfants comme adultes, sur le RUM. On voyage sur le RUM, on s'y cultive, on s'y distrait, on y rêve, on s'y soigne, on converse, on discute, on polémique, on y a des colères, des amitiés, des amours...La vie réelle n'est là que pour pourvoir aux seules nécessités vitales : manger, boire, chier, pisser, dormir et j'allais ajouter, se reproduire mais le terme est impropre.

On est à la veille d'une énorme mutation culturelle, spirituelle, telle que l'humanité n'en a connue depuis la domestication du feu. La vie réelle n'est plus que le cadre, le support du monde virtuel qui devient la Vraie Vie. Les enfants nés pendant le confinement sont déjà d'une espèce autre. Nous ne pouvons les comprendre, nous sommes pour eux des Néandertaliens, une espèce vouée à disparaître. Nous éprouvons la nostalgie des jours d'avant et nous en souffrons, eux n'en souffrent pas, ils n'ont pas cette connaissance d'un monde ancien, d'un paradis perdu...C'est sans doute mieux ainsi !

Trêve de sombres pensées !
Je vais sur le balcon, je regarde la savane, le soleil brille, les oiseaux chantent, j'ai jeté des grains de riz qui attirent les mésanges.








1430ème jour après le Grand Confinement



Aujourd'hui, parce qu'il faut bien parler de quelque chose, et puisque, tous les jours se ressemblant, j'ai décidé malgré tout de tenir ce journal, je vais y parler de l'état du monde, ou plutôt de ce qui nous parvient de l'état du monde. Comme unique source j'ai le RUM et les bribes et les morceaux que l'on peut y recueillir. A propos de morceaux, autant dire que le monde a éclaté façon puzzle. Avant, je veux dire avant le Confinement, sur les chaînes comme on disait alors, avant que leurs maillons ne se défassent, sur les chaînes donc, les commentateurs, prédicateurs, chroniqueurs, spécialistes en tous genres, futurologues, politologues, j'en passe et de meilleurs, nous prédisaient l'avenir et étaient à peu près d'accord pour annoncer une tendance : la reconstitution des grands empires.

En fait le monde humain n'a jamais été , sauf peut-être à l'époque de son organisation clanique, aussi morcelé, aussi dispersé. Prenons l'exemple de la Russie. Poutine, complètement paranoïaque, est cloîtré dans sa ville de Saint Petersbourg où il redoute par dessus tout une attaque des Vikings ! Des Vikings! Aux Etats-Unis, la moitié de la population a déjà flingué l'autre moitié. Le vieux clown, toujours là, lui aussi, est à Washington qu'il a entouré d'un mur  « infranchissable ». Le résultat est là, la population meurt de faim et les pelouses de la Maison Blanche ont été mises en culture. De l'Etat Libre de Louisiane nous parviennent ces vidéos du lockdown-jazz qui font un tabac sur le RUM. Je pourrais parler de l'Australie ; les habitants, en masse, ont quitté les villes pour le bush, où ils tentent de survivre avec l'aide des aborigènes. Je pourrais parler aussi de l'Afrique . Avec la fin de la mondialisation et des courants d'  « échanges » , l'Afrique exploite ses propres et nombreuses ressources et a l'air de pas mal s'en sortir . Certains nous donnent l'Afrique pour modèle . Ce n'est pas pour me déplaire. L'humanité, sortie d'Afrique retournerait-elle à l'Afrique ?

J'arrête là mon tour du monde, il y aurait tant à dire. En gros, bon an mal an , l'humanité se débrouille, elle tâtonne, elle bidouille. Finalement s'y on réfléchit...et on a sacrément le temps de réfléchir... l'homme a des capacités d'adaptation extraordinaires, il a pu s'adapter aux glaces, à la jungle, aux déserts ; là encore, il s'adapte. Les récits d'anticipation nous racontaient la conquête de l'espace, la vie sur d'autres planètes. Nous y sommes, avec nos foutues Kombis, nous y sommes !




1460ème jour après le Grand Confinement



Aujourd'hui, c'est la Commémoration. La troisième. 4 ans déjà. Déjà...Mais ça n'a pas de sens, on y pense tous les jours . Pourquoi aujourd'hui plus qu'hier, ou demain. Rien à faire, je suis totalement allergique aux commémorations, quelles qu'elles soient. Aujourd'hui on pense, demain on reprend les affaires quotidiennes. Et le pire : la minute de silence ! Mais le silence il est partout maintenant, il est constant ! J'ouvre la fenêtre et c'est le silence. Ce n'est pas le silence qu'il faudrait en ces circonstances mais du bruit, un bruit énorme , un vacarme, des hurlements ! Pas le silence !

On a eu droit aux discours des Autorités. La langue de bois n'a pas changé, et des toujours, et des jamais, et des trémolos dans la voix. C'est pitoyable.Il faut changer notre langage. Désigner les choses autrement. Je ne sais pas, moi...par exemple, le RUM serait le moulin à rêves, les sorties autorisées seraient les heures d'errance, le couvre-feu serait l'heure du loup.

Oui, les loups se rapprochent ; on les a entendu près de l'île Versailles. Le soir je guette mais ils ne se risquent pas encore dans le cœur de la ville.

Où j'en étais. Ah ! Oui ! Le langage. Ce sont les Lettristes qui avaient raison, autour d' Isidore Isou. Je l'avait rencontré dans une vie antérieure et on s'était engueulé pour des broutilles politiques. Mais sur un point il avait raison, à monde nouveau il faut des mots nouveaux, des mots inédits, des mots sans histoire. Antonin Artaud aussi l'avait pressenti et Rabelais en son temps.

Bon, j'arrête, il est tard, le couvre-feu est passé : l'heure du loup. J'ai installé mon ordi dans la cuisine, loin du véphone, avec une petite loupiote pour m'éclairer, mais je ne tiens pas à avoir une visite des Vigilants. Comment les nommer ceux-là...les loups ? C'est déjà pris !





1469 ème jour après le Grand Confinement



Une visite des Vigilants ce matin. Je ne les attendais pas. Ce qui est faux , en fait on les attend toujours , mais ils m'ont surpris. J'étais à poil , intégralement à poil, et ruisselant ; je sortais de la douche. Et ils sont entrés. Ils ne sonnent pas, ils ne frappent pas, ils entrent .Quand je pense que, « dans le Temps d'avant » on s'opposait à la pause d'un compteur d'énergie qui risquait d'espionner notre vie personnelle ! Aujourd'hui nous avons tous dû faire poser une S.A.A : Serrure Agréée par les Autorités  et un véphone qui fonctionne en continu.

Ils ont été corrects, ils sont toujours corrects. Ils ont visité les placards, ils ont compté et vérifié mes kombi. Je ne mets pas de « s » à kombi, décision des Autorités approuvée par une votation...Pour couvre-feu, c'est la même chose, il n'y a qu'un feu par foyer, un feu c'est un foyer, ça c'est étymologiquement plus logique ; je ne mets plus de x .

Ils mon remis le dernier modèle de kombi puis ils ont vérifié par véphone que c'était bien MOI. C'était bien MOI, ça m'a rassuré. Parfois, en effet, je m'interroge, je doute.

Ils sont repartis, toujours corrects, après m'avoir fait les recommandations habituelles : respecter les horaires de sortie, nettoyer et respecter les Kombi, respecter le couvre-feu, respecter...respecter...

Les Vigilants...Au départ il s'agissait de bénévoles qui visitaient les personnes confinées afin de s'assurer que tout allait bien, enfin pas trop mal, et puis...le Confinement s'est institutionnalisé et eux de même. Leur rôle s'est amplifié, développé. Ils ont devenus les agents des Autorités, défendant l'Ordre et la Loi. Eux pensent qu'ils n'ont pas changé, leurs intentions n'ont pas changé. Mais ils ont changé, sans le savoir, lentement, inexorablement, comme chacun de nous.

Suis-je bien MOI , sommes-nous bien NOUS ?






1478ème jour après le Grand Confinement



Les Autorités ont bien enregistré les résultats de la votation n°... du ….et procéderont à la mise en œuvre des décisions qu'ils impliquent. Combien de fois, par jour, voyons nous fleurir cette formule consacrée sur le RUM. Les « petites votations » sont quotidiennes ; elles portent sur tous les sujets et sont parfois l'occasion d' épisodes quasi picaresques. Ainsi cette histoire des poulaillers du 18ème district. Des habitants de ce district, après avoir constaté l'approvisionnement irrégulier en œufs et volailles lors de leurs achats dans l'alimentation municipaliste ont réclamé sur le RUM la création d'un poulailler de district. Ils ont initié une pétition qui a recueilli le nombre de voix requis en vue d'appeler à une petite votation : un quart des voix des habitants du district. La votation a eu lieu, le poulailler a été créé. Peu de temps après , des habitants se sont, sur le RUM, plaints du trouble engendré par les caquètements perpétuels des volatiles. Une pétition a eu lieu , puis une nouvelle votation. Le poulailler a été supprimé. Nouvelle plainte des usagers du marché. Une commission de conciliation a été mise en place par les autorités. On en est là pour le moment .
Je sens qu'on va s'amuser.

Parfois les sujets sont plus importants .
Lorsqu'ils concernent l'ensemble de la Société Communaliste, ils impliquent la mise en œuvre d'une Grande Votation. Ce fut les cas pour la mise en place des S.A.A. (serrures agréées par les Autorités). On a été abreuvés sur le RUM pendant toute la campagne par des vérireportages rapportés par des Vigilants témoignant d'anecdotes sordides de personnes mortes et oubliées dans leur appartement, de massacres, de tortures, j'en passe et de pires.
La pétition ayant largement débordé le nombre de voix requis, la Votation a été miraculeuse et la mise en œuvre rapide, au nom bien sûr de la nécessaire sécurité des personnes. Quelques récalcitrants, dont je m'honore d'être, se sont opposés à la pose des serrures , mais quand ils se sont vus infliger une amende d'un tiers des bons du SUV (Salaire Unique de Vie) il ont fini par céder... moi de même.
Tout ceci m'amène à une réflexion sur le pouvoir. Lors du Grand Confinement, nous avons mis en place, peu à peu et devant le délabrement du pouvoir central , une forme de pouvoir nouveau fondé sur la démocratie directe. Il faudra d'ailleurs que je parle dans ce journal des Autorités. Nous avons mis en place un pouvoir nouveau, plus proche, moins corrompu, mais il reste un pouvoir .Un pouvoir reste un pouvoir. Et je suis, et nous sommes, parce que je ne suis pas le seul à penser ainsi... et je suis INSATISFAIT. Et je m'interroge sur cette insatisfaction. Certains affirment que le pouvoir est naturel. Justement, c'est ce qui m'interroge. Le pouvoir est naturel dans la horde des loups, c'est celui du loup qui domine, l'alpha... ce pouvoir est consenti tant qu'il l'exerce, sinon c'est au autre loup qui aura le même pouvoir et l'exercera à son tour, avant qu'un autre loup....Et cela est visible chez tous les animaux sociaux : le pouvoir de la matriarche chez les éléphants , par exemple. Chez l'homme le pouvoir produit une insatisfaction.
Je suis amené ainsi à penser que le propre de l'homme ce n'est pas le rire, décelable chez les chimpanzés et les rats, ni l'outil, utilisé par la loutre, le poulpe, entre autres, mais c'est le REFUS DU POUVOIR. Je suis un être humain parce que je refuse le pouvoir. Je veux être libre, parce que je suis un humain. En aspirant à la liberté, j'assume ma condition humaine. Vive la LIBERTE !

Une des choses positives dans ce confinement, c'est que l'on peut penser tranquillement, et paradoxalement, librement.





1481ème jour après le Grand Confinement


J'en ris encore .
Cette histoire m'a mis de bonne humeur pour toute la journée. Ce matin, mon véphone était en panne. Je ne m'en suis pas aperçu, mais je suppose qu'il a dû flancher vers 9h , car à 9h10 les Vigilants affolés étaient là. Dans les minutes qui suivent ont débarqué le SSP :Service de Sécurité des Personnes, l'US :l'Urgence Sanitaire, la PID :Prévention des Incidents Domestiques, l'AV. :Aide aux Victimes, les VS : Voisins Solidaires, puis enfin le SVDO : Service de Vérification des Dispositifs Obligatoires, le STA : Services Techniques Agréés pour finir avec le Contrôleur de la Qualité faisant office de CC Contrôleur de la Conformité. Devant mon balcon était stationnée toute une écurie  qui piaffait et embaumait.

J'étais littéralement plié en deux à force de rire et je pensais à cette scène de l'envahissement d'une cabine de bateaux d'un film des Marx Brothers . A voir tous les sigles imprimés sur les kombi je pensais que tout l'alphabet allait y passer ! Et ils me regardaient rire avec consternation, et plus ils me regardaient, et plus je riais . Finalement, le rire étant contagieux, ils ont consenti peu à peu à se départir de leur sérieux officiel et réglementaire pour partager légèrement ce rire, du bout des lèvres d'abord, puis plus franchement ensuite.

En attendant que la réparation soit effectuée et que soit déclarée la clôture de l'incident, par le CQ faisant office de CC, j'ai préparé pour tout le monde un « café » (gland-églantine-chicorée), enfin ce qu'on persiste à nommer ainsi et qui, malgré l'amertume ressemble de près ou plutôt de loin à quelque chose qui ressemble à un café...Tout ce petit monde est parti vers 11 h, me laissant seul avec ma joie et un véphone fonctionnel, contrôlé, agréé, estampillé.







1494 ème jour après le Grand Confinement



Sale temps aujourd'hui. Depuis ce matin, ça pleut ! Heures de sorties supprimées, balcon interdit ! Ça pleut ! Autrefois, on disait il pleut, c'était impersonnel, un simple constat. Aujourd'hui on dit « ça pleut, » ; « ça » désigne quelque chose, quand ça pleut, quelque chose pleut. C'est une menace, on ne prend plus de risque quand ça pleut, on reste chez soi.

Cette journée aurait pu être morose mais sur le RUM j'ai dégotté un foRUM bien intéressant et pendant 2 heures nous avons échangé des idées parfois inédites sur le thème pourtant classique :« qui sommes nous ? où allons nous ? » C'est toujours agréable, ces jours grisâtres, quand on ne sait comment occuper des heures qui s'étirent, de dialoguer ainsi avec de parfaits inconnus. La conclusion fut que le forum aurait dû s'intituler : comment en est-on arrivé là ?

Je vais tenter de résumer ici ce qu'il en est ressorti ; écrire ces choses permet de les retenir avant que le brouillard temporel n'en estompe les contours.
Après le premier confinement, on assista à une tentative de restauration de l'ordre ancien malgré les promesses et les beaux discours . Mais cela ne dura pas. Quelques mois plus tard, et devant la prolifération non plus d'un mais de nombreux virus, ce fut le début du Grand Confinement et la Grande Colère. Tout s'effondra. En France le boycott quasi général de la Présidentielle organisée sur « l'internet » signa la fin d'un système. La sécession de l'Occitanie, puis celle de la Bretagne entraînèrent la chute du château de cartes des institutions. La Révolution Communaliste fut étonnamment rapide, facilitée par le Confinement et le dé-serrement de fait des liens inter-régionaux. Les Institutions mises en place sont celles que l'on connaît aujourd'hui.

Nous avons là un mode d'organisation politique qui tend vers une 'utopie plus fouriériste que marxiste, dont les fondements sont la démocratie directe, l'expression citoyenne, la révocabilité de la représentation. Nous avons une société égalitaire, une économie de répartition, égalitaire elle aussi, et quasi autarcique. Nous avons un système de protection sociale exemplaire. Nous avons contingenté la production et l'utilisation de l'énergie , développé les énergies douces, Nous avons, par la force des choses protégé l'environnement.

Bref, nous devrions être heureux !

Mais nous sommes pris dans une nasse dont nous ne pouvons trouver l'issue. La menace sanitaire nous impose des contraintes de sécurité de plus en plus sévères , de plus en plus impérieuses, de plus en plus insupportables, de plus en plus contradictoires avec nos aspirations et l'inspiration fondatrice de nos institutions .

A la question : « où allons nous ? », nous n'avons pas su, pas pu, répondre.

Nous allons avoir encore, les jours de grisaille, de pluie et de vent, de nombreux foRUM(s?) sur ce thème inépuisable.







1505éme jour après le Grand Confinement



Bonne nouvelle aujourd'hui ! J'ai tiré le bon numéro !
Enfin, ça fait un bout de temps que je l'ai tiré, mais la nouvelle m'est arrivée ce matin par véphone . Je vais aller au théâtre ! J'ai le droit à une « sortie exceptionnelle autorisée pour un spectacle organisé par la Mission Culturelle ». Quand on reçoit ce genre de choses on ne tergiverse pas. Je ne sais même pas ce que je vais aller voir mais ça n'a aucune importance.
Dans le message reçu figure la litanie des recommandations habituelles. Je vais repasser ma Kombi. A ce propos, vapeur ou pas vapeur ? Eternel débat entre les épidémiologistes et autres sommités médicales...
Bon, là j'arrête, j'ai rendez-vous à l'arrêt du tramval dans une heure ; oui, on dit tramval maintenant, tram-cheval, c'est trop long, c'est passé de mode. Certains disent même : on va prendre le Val.
C'est fou la façon dont nous sommes envahis par les acronymes, les élisions, les apocopes et autres aphérèses : une mine pour les linguistes ! A monde nouveau, langue nouvelle...oui je sais, j'en ai déjà parlé, mais ce sujet me passionne. J'ai dit : j'arrête !
............................................................................................

Je suis revenu.
C'était pas mal, sans plus. C'est la quatrième mise en scène de Richard III que je vois. Finalement le fait que les comédiens soient en Kombi ne m'a pas gêné. J'ai vu Richard III en costumes historiques, Richard III en habits de clown, Richard...III en complets-vestons-cravates, alors en Kombi, pourquoi pas !
Ce qui était vraiment plaisant c'était de se retrouver dans une vraie salle, avec un vrai public, de participer à cette respiration, de ressentir ces émotions ! C'était vraiment différent des spectacles auxquels on assiste sur le RUM. L'interactivité, même bien « artificialisée » comme on sait le faire maintenant, ne peut restituer cette respiration d'une salle.
Je ne critique pas, je constate. Mettez ça sur le compte de la nostalgie ! je sais que le système mis en place a sauvé la création culturelle et le spectacle vivant, qu'ils reviennent de loin,  qu'il suffit de choisir son programme, de présenter sa carte-aux-bons au véphone pour que les artistes soient directement rétribués....dans la limite du Salaire de Vie ! Comme chacun, je sais cela, et comme chacun j'éprouve comme un regret...

Aîe ! Mes rutabagas vont être archi-cuits...ou peut-être devrais-je dire mes « rutas »...ou mes « ruts », non ce diminutif me paraît mal approprié !


1523ème jour après le Grand Confinement



Grand jour que ce jour ! On va renouveler une partie des Autorités. En effet sur les 12 Représentants, 4 ont obtenus une note inférieure à 5 lors du dernier classement mensuel et 2 ont été victimes d'une Votation défavorable...en particulier Patrice M....qui s'est ridiculisé dans l'affaire des poulaillers du 18ème district ; j'en ai parlé je crois.

J'ai vu la tronche des 24 personnes tirées au sort. On ne sait pas grand-chose : leur âge, compris entre 18 et 65 ans, comme l'exige la loi, leurs noms bien sûr et c'est tout. Les photos exhibées sont semblables à nos anciennes photos d'identité, elles sont totalement neutres. Pas de programme, pas de grandes déclarations, de discours ni de promesses ! Cela peut paraître frustrant c'est certain, mais les grands débats politiques auront bien lieu : ils auront lieu après ! Car c'est « sur le tas » que ces personnes devront faire leurs preuves. Elles seront jugées sur leurs actes, leurs initiatives , leurs décisions, et au moindre manquement il suffira de deux notations insuffisantes successives ou d'une votation pour qu'elles retournent à l'anonymat. En les regardant, je savoure ma chance, je suis dans une tranche d'âge qui n'est plus concernée, je suis électeur, je ne serai jamais candidat malgré moi ...oui , j'ai omis de le mentionner , si le sort vous désigne il vous est impossible de vous désister.

Il me faut donc voter.

« ça sera toi qui sera le chat,
mais comme le roi ne le veut pas
ce ne sera pas toi ! »
Pas toi !`
En voilà un déjà d'éliminé !

« Un petit cochon
pendu au plafond
tirez lui la queue
il pondra des œufs
combien en coulez-vous ?
Trois !
Un, deux ,trois ! »
pas toi !
En voilà une autre !

«  La peinture à l'huile
c'est plus rigolo
mais c'est bien moins beau
que la peinture à l'eau ! »
le numéro 22 peut retourner à ses activités habituelles !

« Faire pipi dans un tonneau
c'est rigolo
mais c'est salaud ! »
( J'adore)
Exit le numéro15 !

J'ai fait : rondin picotin, am stram gram , bien sûr , puis une souris verte, au clair de la lune trois petits lapins, escargot de Bourgogne, à la couronne je te la donne, Charlemagne roi d'Espagne, Napoléon monte en avion, une poule sur un mur, pigeon vole, pomme de reinette, dis-moi-oui dis-moi-non, Bibi Lolo de Sain-Malo, combien faut-il de clous, Pim Perroquet c'est le roi des papillons...

J'ai passé un excellent moment et j'ai les six élu-e-s de mon coeur: les numéros 3, 7 ,11,17, 20, 23. Je jetterai ce soir un coup d'oeil sur le RUM pour voir le résultat final.
Peu importe d'ailleurs... Mais je conserve ces numéros, je les jouerai samedi à la Loterie Communaliste, ils me feront peut-être gagner un petit supplément de bons et de bonheur !


1533ème jour après le Grand Confinement



Ce matin il faisait beau. Je me suis installé sur le balcon, dans ma « Cloche », avec une tasse de cette mixture qu'on n'ose même plus nommer du Thé et que l'on commercialise sous l'appellation de « T »,    comme si l'on n'osait plus ajouter d'autres lettres. Il faisait encore tiède, j'étais à mon aise et absorbé par le récit de Nicolas Bouvier : L' Usage du Monde »   que je relisais avec délices pour la énième fois.

Je n'ai pas entendu la petite musique extraite des Gymnopédies d'Eric Satie qui m'appelait à mes exercices de  « Mise en Forme » matinaux. Ce sont les Walkiries de Wagner qui en rugissant m'ont rappelé à l'ordre.  La voix du véphone m'a demandé les raisons de mon manquement, j'ai bredouillé une réponse indistincte, on s'est enquis de ma santé, j'ai dû approcher mon front pour que ma température soit prise, j'ai dû écarquiller les yeux pour qu'on contemple mes pupilles, il m'a fallu conter par le menu mon régime alimentaire, j'ai dû exhiber mes boîtes d'anti-histaminiques pour qu'on fasse le compte des comprimés, j'ai dû présenter l'état de mes Plantations...Tout était aux normes.
Alors j'ai subi un discours plein de remontrances dans lequel il était question de la Communalité qui se soucie du bien-être des citoyens, du coût de la santé pour la dite Communalité et de l'inconséquence des individus qui ne prennent pas soin d'icelle. J'ai dû promettre de me ressaisir. J'ai été pardonné  « à condition que l'on ne m'y reprenne plus ».

Résultat de cet épisode : je ne suis plus à l'aise du tout ! II est midi et ce foutu véphone m'a coupé l'appétit. Je suis comme un gamin pris en faute et que l'on a grondé. « Promis, je ne le ferai plus » ai-je dû assurer . Je m'en veux de cette réponse, de cette régression, mais n'ai pas d'autre choix.

Le véphone est là...pour notre bien, comme le répètent inlassablement les slogans : le Véphone Veille pour Vous ... le Véphone sauVe des Vies !
Et celui-ci que j'apprécie particulièrement pour sa complexité quasi métaphysique: le Véphone Vous VOIT mais le Véphone c'est VOUS !






1545émé jour après le Grand Confinement


De mon balcon, sous la cloche, je regarde passer les gens qui profitent de leur « Sortie » En cette fin du printemps le temps est splendide et la matinée n'étant pas encore avancée, la chaleur est encore supportable. Les kombis se sont parées de couleurs. Certaines sont éclatantes, décorées de motifs empruntées aux cinéma et à la BD héroïques ou fantastiques, tels les costumes des catcheurs arrivant sur le ring, d'autres sont plus romantiques, aux couleurs pastel, décorées de motifs floraux, glycine, volubilis, ou humbles pâquerettes. Les chiens parés de casaques vives semblent des petits chevaux harnachés pour la course. Parfois l'on se connaît et se salue aimablement, en s'inclinant à la japonaise.

Ma « Sortie » est prévue à 15 h, il fera chaud, je mettrai ma kombi légère, d'un bleu lavande, on la sent à peine sur la peau. J'ai reçu mon autorisation hebdomadaire pour me rendre à l'alimentation communaliste, ma carte-aux-bons est pleine en ce début de mois et il paraît qu'il y a abondance de fruits et de légumes. Serait-ce la fin du rutabaga ? Ça ne serait pas étonnant : dans l'aire urbaine , quasiment tous les espaces disponibles ont été mis en culture, si l'on excepte les sites classés « espaces naturels », refuges de la flore et la faune sauvage ( dont « la savane », devant mes fenêtres : ouf !)...
L'ancien « miroir d'eau » est aujourd'hui une immense fraiseraie, surveillée jalousement nuit et jour par un troupeau d'oies. Cette précaution est inutile dit-on ; je suis , aujourd'hui, étant de bonne humeur, disposé à le croire.
On prétend sur le RUM, statistiques à l'appui , que ce qu'ils vivent, depuis cinq années de crainte, d'austérité , de frugalité, aurait rendu les gens plus tolérants, plus altruistes, moins égoïstes que dans les temps de la « Consommation ». C'est bien possible, car nous vivons dans une société complètement inédite, nous assistons à des évolutions des mœurs , de la pensée, de la culture, que nous avons du mal à comprendre, à analyser, tout simplement à saisir- et qui progressent à une vitesse étourdissante.
Le thème du prochain foRUM pour lequel je me suis inscrit et qui aura lieu demain s' intitule « hier et aujourd'hui » : on va faire du tri !.

J'arrête pour aujourd'hui, il me faut quitter ma contemplation balconnière ( cet adjectif n'est pas reconnu mais en ces temps où tout bouge, tout change, n'hésitons pas !) pour faite un inventaire et ma liste d'achats.





1552ème jour après le Grand Confinement



Un peu de rangements de placards en attendant l'heure de « Sortie ». Une pile de bouquins chute,je me prends les pieds, tombe...tombe sur cette page ouverte, que je lis :

"Voici encore un malheur qui m’arriva en plus du reste : au dehors et au dedans de chez moi, je fus assailli par la peste, une peste des plus violentes entre toutes... Je dus supporter cette étrange situation : la vue même de ma maison m’était effroyable. Tout ce qui y restait était laissé sans surveillance, abandonné à qui pouvait en avoir envie. Moi qui suis si hospitalier, je dus péniblement me mettre en quête d’un refuge pour ma famille, une famille frappée d’égarement, qui faisait peur à ses amis et à elle-même, et causant l’horreur à chaque endroit où elle cherchait à s’arrêter, et contrainte à changer de demeure aussitôt qu’un membre de la troupe venait à ressentir une douleur au bout des doigts... dans ces moments là, toutes les maladies sont prises pour la peste : on ne prend même pas le temps d’essayer de les reconnaître. Et le pire c’est que, selon les règles de la médecine, pour tout danger que l’on a pu approcher, il faut rester quarante jours dans les transes de l’incertitude, l’imagination vous tourmentant pendant ce temps comme elle le veut, et vous rendant fiévreux, vous qui étiez en bonne santé. Tout cela m’eût beaucoup moins atteint, si je n’avais eu à  me soucier de la peine des autres et à servir misérablement de guide durant six mois à cette caravane...
Montaigne, Les Essais, t.3
chapitre 12

Le hasard surréaliste a bien fait les choses...ou est-ce quelque démiurge confiné lui aussi quelque part, dans le placard, et qui, libéré, éprouve le besoin de se manifester en me jouant ce tour ?
J'ai vérifié sur le RUM : à l'époque, on ne confinait pas, on fuyait. Des villes entières se jetaient sur les routes, tentant d'aller plus vite que la course du virus, pour lui échapper. Six mois en vadrouille en famille, rencontrant, croisant, au hasard des routes et des auberges , des granges , d'autres fuyards ne sachant où aller ... avec de surcroit la crainte de porter le fléau et la méfiance justifiée à l'approche d'inconnus, porteurs peut-être eux aussi. Voilà qui m'apaise et me réconcilie avec mon temps difficile. Je vais doucement siroter mon T aux ingrédients obscurs, puis j'enfilerai sagement ma Kombi ridicule afin d'errer en toute quiétude par les rues, embaumées de ce parfum subtil qui mêle le fumet du crottin de cheval et la senteur opulente des fleurs d’acacia.




1561ème jour après le Grand Confinement



Avant de sortir ce matin j'ai consulté le bulletin virologique qui n'est pas trop inquiétant. Dans le temps on consultait le bulletin météorologique mais depuis que covid19, qui s'était bien plu dans notre environnement a invité ses petits copains covid21, covid22, et une flopée d'autres petits corpuscules tout aussi sympathiques, avant de s'effacer pour leur faire place, nous avons droit aussi au bulletin virologique.

Il y a quand même une chose que je ne comprends pas : dans la mesure où nous sommes tous confinés, soit dans la kombi, soit dans notre logement, comment se fait-il que ces virus, sans nourriture humaine suffisante, puissent ainsi prospérer. ? Cette question, je ne suis pas seul à la poser, elle tourmente de plus en plus de nombreuses personnes. Les spécialistes, régulièrement interrogés dans les foRUMs ont des réponses contradictoires ou évasives. En fait ces petits êtres charmants qui se sont développés dans le désordre du monde d'avant, tâtonnent, essaient de se faire une place, puis renoncent, disparaissent, au profit d'autres êtres non moins charmants...
Non, là je plaisante, c'est une explication quelque peu anthropomorphique !..

 Cette absence de réponse scientifique unanime permet à certains de développer ces théories complotistes qui fleurissent su le RUM, qui contestent le bulletin virologique, qui dénoncent une mystification. Ces théories sont d'autant plus prégnantes que le moteur même de l'édification de notre société est cette pollution virale. Tant que l'on n'aura pas répondu clairement à cette interrogation, le doute persistera et progressera. Cette société bien sûr est difficile à vivre par les limites qu'elle met à notre liberté, limites que justifie l'insécurité sanitaire ; d'un autre côté elle répond à des idéaux de justice, d'égalité , de solidarité, de partage, de respect de l'environnement. Je ne pense pas que la majorité des personnes veuille revivre ce qu'elles ont vécu auparavant, mais si la contrainte sécuritaire disparaît, rien ne prouve que les vieux démons ne se manifesteront pas ; tout ce qui s'est construit ces dernières années est encore fragile.

On n'a donc aucune certitude sur l'évolution future et tant qu'on n'aura pas répondu clairement à la question posée , tant que le confinement s'imposera sans que sa justification soit ré-actualisée ou abolie, le ver sera dans le fruit et continuera à le ronger.
Sur ces fortes pensées, je revêts sagement ma kombi, d'un jaune canari, accordé au soleil matinal... et je sors m'aérer d'un bon air filtré..


1570ème jour après le Grand Confinement


Lorsque je relis le journal je m'aperçois qu'on s'est installé dans le « système », moi comme les autres, comme si c'était la fin de l'histoire . Dans une sorte de confort restreint on a trouvé nos habitudes , on s'est plié aux contraintes dans un renoncement consenti à toute perfection. Et depuis quelques jours , les choses évoluent.

Cette affaire du Bulletin virologique commence à faire beaucoup de bruits ; le crois qu'on va vers une votation..Il va falloir que les Autorités répondent clairement. Un certain nombre de manifestations visuelles ont eu lieu sur le RUM, qui ont réuni de nombreuses personnes. J'ai ajouté ma noble figure à certaines d'entre elles car je pense qu'on a vraiment besoin de réponses claires.
C'est amusant d'ailleurs qu'on ait gardé le terme de manifestation, on a juste changé la manière puisqu'il s'agit de bloquer en quelque sorte l'écran pendant plusieurs heures en occupant le maximum de FoRUMs . Ce droit est sinon reconnu officiellement, du moins toléré. Hier on a tenu quatre heures, on a eu affaire à quelques contre-offensives, ça a pas mal cafouillé à certains moments ! J'ai eu droit ce matin à l'appel traditionnel du véphone qui a vérifié que j'étais bien l'auteur de ma Présence, et ce « dans le but de certifier les statistiques qui seront publiées ». Tout cela est normal, ordinaire, bien rôdé sinon rassurant. Donc, on attend la suite !

Rien de bien notable aujourd'hui . Il est 15h, il fait beau, il fait chaud ; le soleil tape sur la cloche et je vais attendre un peu avant de griller sur le balcon. Les habitants de la savane, un peu abattus par la chaleur font la sieste. J'hésite entre écouter un concert synchronisé organisé par les musiciens du 9ème district ou regarder la diffusion commentée des œuvres des artistes plasticiens du CAC (Conservatoires et Ateliers Communalistes) du13ème. Je vais devoir, pour cela consommer quelques bons qui financeront directement les artistes.
On est en fin de mois, je dois être économe... il me faut faire un choix : musiciens ou plasticiens ?







1585ème jour après le Grand Confinement



C'est la crise !
La Commission d'enquête `a publié ses réponses. C'est assez complexe, mais...voilà ce que j'ai compris.
Les fameux capteurs, placés dans des endroits sélectionnés avec soin : poignées de portes, tramvals, sonnettes des immeubles...relèvent un taux de virus présumés offensifs avant que soient analysés des prélèvements. C'est ce taux qui est communiqué quotidiennement. L'analyse a forcément lieu a posteriori. Soit le virus est identifié, auquel cas il est classé, offensif ou sans danger, soit il est inconnu et des recherches qui peuvent prendre des semaines ou des mois sont entreprises pour pouvoir le « classer ».

Autrement dit, certains jours, certaines semaines nous nous protégeons contre un danger qui n'existe pas, mais en vertu du principe de précaution, nous devons faire « comme si...».Cet hiver, les analyses n'ont mis en évidence que des virus bien identifiés, classiques, des agents de la grippe ! .La pensée que, à chaque instant, nous devons nous plier à des contraintes qui très souvent sont inutiles est proprement insupportable !
Ça chauffe sur le RUM et même dans la rue !
Dans certains districts, des gens sont sortis sans Kombi. Les SSP ont dû intervenir mais ont été débordés. D'après des informations trouvées sur le RUM, ce qui se passe ici a des répercussions un peu partout dans le monde, en Moravie, en Sénégambie, dans le Leinster....partout les gens interrogent et parfois s'insurgent.
Les Autorités paraissent dépassées, perdues. Rompre le Confinement et les mesures de protection pourrait être catastrophique... ou pas... Mais s'il y a rupture c'est tout un édifice qui, perdant sa justification,i risque de s'écrouler. De plus, en cas de nouvelle catastrophe ces mêmes autorités seront rendues responsables.
Je suis cependant convaincu que la vraie motivation de leur hésitation, de leur bégaiement, de leurs discours alambiqués est leur manque de confiance. Je ne suis pas certain que les personnes voudront revenir au «  Monde d'Avant ». Je crois que nous avons tous beaucoup appris. On va bien voir puisque les évènements se précipitent. Mais il est l'heure de ma Sortie...

Mettrai-je ma kombi ? Je regarde dehors , il y des gens avec et des GENS SANS...
J'irai sans !





1599ème jour après le Grand Confinement

Je reprends ce journal interrompu pendant près de deux semaines.
Les choses vont si vite et nous avons été tellement occupés par les votations, que je n'ai pas vu le temps passer. Je crois qu'on a voté à peu près tous les jours et sur tous les sujets ! Parfois dix votations en une journée !
Maintenant ça se calme. Je vais tenter de faire le point.

D'abord on a désigné de nouvelles autorités, les anciennes ont dû démissionner après trois mois d'exercice.
Ensuite on a voté un grand nombre de mesures. En gros ça donne cela :

Suppression du port de la Kombi et des «Heures de Sortie »
Suppression de véphone obligatoire sauf chez ceux qui veulent le garder pour des raisons de sécurité
Maintien de la communalisation des productions industrielles, agricoles, culturelles et de services
Maintien du contingentement de la production énergétique (...Super, j'adore le tramval!)
Maintien de la répartition du temps de travail et du Salaire de Vie
Maintien du mode de désignation par votation des élus à tous les niveaux de responsabilité de l'entreprise au district et à la Communalité
Maintien de le révocabilité des élus par votation et donc maintien du droit de pétition et de votation
Maintien de la division de la Communalité en districts et de leurs structures d'administration, de services, des marchés, des lieux de production , des ateliers et lieux culturels

Finalement, comme je l'avais pensé les gens n'ont pas renoncé à un mode de vie sobre qui leur assure la tranquillité d'esprit, pour l'échanger contre l'illusoire abondance qu'ils ont connue jadis.
Et là, juste à l'instant, je regarde le RUM : on va se fédérer !  Il va y avoir une votation sur un processus de fédération ente les Communalités d'Armorique et du Pays nantais.
Non ce n'est pas la fin de l'Histoire, la fin de l'Utopie...L'Histoire, la vieille taupe, continue sa besogne : creuser et resurgir là où l'on ne l'attend plus !




1600ème jour après le Grand Confinement


J'ai passé la journée et la nuit dehors, sans kombi ! J'avais l'impression d'être quasi nu.
Les gens étaient joyeux. Tous avaient revêtu des habits qu'on ne voyait plus depuis plus de cinq ans ! Finies les salutations à la japonaise. On s'embrasse, on s'enlace, on serre les mains.
On a ressorti les tables des terrasses, finies les pailles, finies les soupes-pailles!
C'est une fête incroyable ! Il y a des musiciens partout, qui jouent ensemble ! Finis les concerts synchronisés ! Il y a des artistes de rue, jongleurs, acrobates, clowns ! Partout des draps sont tendus, on écrit des poèmes, on dessine , on peint. Il y a aussi des feux de joie, et malgré les avertissements des Autorités  « gardez les elles pourraient resservir », on brûle des kombis.
Et autour des feux, la nuit venue, on danse ! On danse ! 
Adultes , enfants et ceux qui ne sont plus :« les vieux » font des farandoles en se tenant les mains.
Je suis harassé mais bien trop excité, je crois que je ne vais pas dormir. D'ailleurs j'entends comme une sorte de fanfare endiablée sous mon balcon, je vais voir ce qu'il se passe. Je sors ! Je sors !...En caleçon et tee-shirt !...

FIN


Ce journal, retrouvé lors de fouilles archéologiques s'achève là ;  Il est conservé et publié par le CEE (Centre des Etudes Européennes ) de l'Université d'Abidjan (Fédération Africaine) – avril 2721.

Vous pouvez, si vous le désirez imaginer la suite, consulter certains ouvrages dont voici une liste non exhaustive :
Jean-Amadou Traoré : Histoire Contemporaine- tome I : les origines- Le second Moyen-âge européen- - Ed - CEE- Abidjan – 2721 – Frontal JATMA00JATDH21
Aponi Ashaïsha : Histoire des 20ème et 21ème siècle - Les causes de l'Effondrement : le marché, une utopie suicidaire - Université amérindienne du Québec – 2725 –
Frontal AAQH00AAE25
William Smith : Du morcellement à la Reconstruction- Les soubresauts du monde dans la période intermédiaire – Petite bibliothèque historique - Créteil- 2719-
Frontal WSC00WSMH19
Astrid Martin-Monnier : Abondance ou sobriété- Etude de l'impact des théories économiques dans le monde  « post-moderne »c - Ed de l'Erdre - Nantes 2723
Frontal AMM00AAMAS23
ou tout simplement, connectez votre Frontal sur votre  excellent Cours d'histoire en 3D à destination des écoles, si vous le possédez encore – sinon voici sa référence :
Ministère Ouest-Européen des Educations – Cours d'histoire section 7 : le Second Moyen-âge –Frontal MEOE00ESHD07

...et laissez vagabonder votre imaginaire....

Un extrait pour finir, et susciter votre intérêt :

Jean-Amadou Traoré : Histoire Contemporaine- tome I : les origines- Le second Moyen-âge européen- - Ed - CEE- Abidjan – 2721 – Frontal JATMA00JATDH21


Introduction

Il ne s'agit pas dans cet ouvrage de faire une étude factuelle de la période que l'on a pour habitude de nommer : Le Second Moyen Age Européen mais d'analyser et d'en comprendre les évènements .
Cette période a vu en effet se disloquer les grands ensembles politiques et économiques qui caractérisent ce que les historiens désignent comme « Les Temps Modernes ». Nous étudierons les facteurs de cette dissolution politique, facteurs écologiques, sanitaires d'abord, les deux étant bien entendus étroitement liés, puis les facteurs sociaux, économiques et culturels.
Nous étudierons plus particulièrement l'exemple français qui paraît caractéristique. En effet la troisième décennie du 21ème siècle a vu l'effacement du pouvoir central, conséquence directe de la CRISE SANITAIRE  (2020-2026), et un morcellement du territoire national avant une recomposition bien plus large. Ce morcellement et cet effacement nous le constaterons, sont à la fois, comme les historiens l'ont largement démontré, la conséquence de la crise économique mondiale qui suivit la crise sanitaire ( affaiblissement des courants d'échange de biens et de personnes, baisse de la production des biens, pénuries ) mais aussi, ce que montre précisément notre étude, de facteurs intrinsèques, d'une crise idéologique et culturelle : la confiance dans le dogme du Marché qui cimentait les systèmes nationaux aussi bien qu'internationaux s'effondre sur le territoire historique français.
Cette période de doute, de recherche, de tâtonnements et d'essais, que l'on nomme aussi, période intermédiaire, mérite notre intérêt. Souvent considérée par les historiens comme trouble, opaque, confuse, elle est au contraire inventive, créative, imaginative. C'est de ce creuset bouillonnant que sont issus les « Temps Nouveaux » que nous vivons depuis des siècles. Ce sera ce que nous démontrerons .
un peu flamboyante,

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Sur mon balcon pendant le confinement

16 mars · Face à mon balcon Un nid de pies Je les connais Je les vois tous les jours Mais maintenant J'entends Les cris des jeunes qui appellent les parents 5 C'est le " chat jaune " Je le connais Il me connait Je le salue toujours en passant Là, je le vois de loin Mais sa présence est rassurante 5 17 mars · Je pense à la vie quotidienne des anciens gardiens de phares , elle est un peu la nôtre...sauf qu'au lieu de contempler le coucher de soleil au dessus de l'océan, je vois des gens emmitouflés dans des écharpes qui promènent leurs chiens. 1 18 mars · De mon balcon ""..je ne vois que le soleil qui poudroie et l'herbe qui verdoie..." 17 mars · Tea time...on ne se laisse pas abattre ! 20 mars · Ce soir, vendredi, je vois circuler des livreurs uber eat, esclaves sans protection