Cendrillon
2006
Il y avait une jeune fille très belle et très malheureuse ;
elle habitait avec ce que l’on nomme aujourd’hui une famille
recomposée : son père, sa belle-mère et leurs trois filles,
dans un loft du onzième arrondissement de Paris. La belle-mère
était une femme méchante et n’avait d’égards que pour ses
trois filles qu’elle adorait , cajolait et protégeait avec
excès; Cendrillon- car tel était son nom ou plutôt le surnom qu’on
lui donnait- son vrai nom je l’ignore encore- Cendrillon était
maltraitée. Pendant que ses trois soeurs jouaient avec leurs
consoles Nitendo, partaient faire des emplettes dans les magasins de
prêt à porter ou sortaient en boîte, Cendrillon devait s’occuper
des tâches ménagères, préparer les repas, faire les courses,
passer l’aspirateur, laver et repasser, et ce n’était jamais
suffisant, et ses sœurs impitoyables et capricieuses n’étaient
jamais satisfaites. Cendrillon ne disait rien, depuis longtemps elle
avait compris que protester était inutile, tant ses sœurs étaient
stupides et arrogantes, tant sa belle-mère était malfaisante, tant
son père, véritable pilier de bistrot, était absent. Sa
journée de travail terminée elle s’asseyait auprès du feu de
cheminée, un livre dans les mains et tout en tisonnant les cendres
elle s’évadait par la lecture, sa seule consolation. – c’est
pour cela que ses sœurs, quasi analphabètes, incapables de lire
trois lignes d’affilée, la surnommaient Cendrillon.
Un
jour, ses sœurs qui passaient toutes leurs soirées dans les boîtes
branchées et les bars à la mode du quartier Oberkampf et qui en
fréquentaient assidûment les noctambules habitués, furent invitées
à une soirée privée organisée au « Nouveau Casino »
par un grand Prince de la mode, jet-setteur renommé et objet de
l’assiduité des magazines « people » Les trois sœurs
se préparèrent longuement, des jours durant, choisissant leurs
toilettes dans les magasins à la mode, passant des heures dans les
salons d’esthétiques, de coiffure, de maquillage, de bronzage et
d’ongles américains, et Cendrillon était obligée de les aider
dans leurs essayages et de les seconder dans leurs apprêts.
Méprisantes et cyniques ses sœurs la provoquaient :
-
Pourquoi ne viendrais-tu pas avec nous Cendrillon?
-Vous
savez bien que je ne suis pas invitée, et puis je n’ai rien à me
mettre ! Répondait-elle
-
Et puis tu serais vraiment trop « relou » ! ricanaient
les sœurs !
Et
cendrillon sentait bien qu’il était inutile de poursuivre la
conversation.
+++
Le
jour enfin arriva de la fameuse soirée. Lorsque ses sœurs
accompagnées de leur mère furent parties, Cendrillon restée seule,
submergée par le chagrin, éclata en sanglots, songeant à son sort
funeste; pour se consoler elle prit un livre qu’elle adorait, et
s’apprêtait à le lire - c’était des contes de Perrault-
quand la Bonne Fée apparut. Cendrillon ne fut pas plus étonnée que
cela, la bonne fée était une habitante de ses rêves, une héroïne
familière de ses lectures, une amie intime et son seul espoir.
La
Bonne Fée s’assit auprès d’elle et tisonna les cendres :
-
tu voudrais sans doute, Cendrillon, aller à la soirée du Prince de
la mode ?
-oh !
Oui, ma fée ! répondit cendrillon.
-ne
t’inquiète pas dit la fée, je sais ce qu’il te faut, je vais te
relooker car je suis une fée spécialisée dans le coaching, pour
cela, il me faudrait une citrouille.
La
demande de la fée paraissait étrange, mais Cendrillon qui avait lu
les contes de Perrault et connaissait les mœurs des fées obéit
sans hésiter. Il y avait heureusement une citrouille dans le
congélateur ; bien que surgelée elle fit l’affaire.
Maintenant,
dit la fée il me faudrait un gros rat. Trouver un gros rat dans le
onzième arrondissement à dix heures du soir est chose possible
étant donné l’abondance des bars et des restaurants, et donc des
détritus dans les poubelles, mais de là à l’attraper, ce n’est
pas évident, aussi Cendrillon préféra faire une commande par
Internet sur « animal point com « et dans la demie heure
le gros rat fut livré.
Alors
en un coup de la baguette magique la citrouille fut changée en une
superbe automobile BMW et le gros rat en chauffeur de maître en
uniforme et casquette à galon doré.
-Et
voila, dit la fée, tu n’as plus qu’à te rendre à la soirée !
-Mais,
dit Cendrillon, je ne peux pas y aller, habillée comme je suis, en
baskets et jogging.
D’un
coup de baguette magique, Cendrillon fut transformée, métamorphosée
des pieds à la tête : elle était naturellement jolie mais là,
elle fut somptueuse, par sa coiffure, ses bijoux cartier, sa robe
Chanel et surtout par ses chaussures, de magnifiques escarpins de
vair et nom de verre comme certains, mal informés l’ont affirmé
par la suite.
Et
maintenant dit la fée, dépêche toi et profite bien de ta soirée,
mais surtout efforce toi de revenir avant minuit, car à minuit le
charme cessera d’agir, la voiture redeviendra citrouille, le
chauffeur redeviendra rat et tes vêtements redeviendront ce qu’ils
étaient auparavant et en plus il te faudrait prendre le métro ;
ma magie est efficace mais fragile et la réalité puissante reprend
vite le dessus.
+++
En
un instant la voiture arriva près du lieu où la fête de tenait. A
peine fut elle descendue de sa voiture que tous n’eurent d’yeux
que pour elle tant elle resplendissait ; les danseurs
s’arrêtèrent de danser, les buveurs cessèrent de boire, les
discoureurs se turent, et les « didjis »délaissèrent
leurs platines. En silence, subjugué, fasciné, ébloui le Prince de
la mode s’approcha, prit Cendrillon par la main puis la fête
reprit. Etourdie par la rapidité des évènements et peut-être
aussi par le rythme effréné de la musique techno, Cendrillon se
laissa entraîner dans la danse. Elle vivait un conte de fées. Elle
aperçut un instant ses trois sœurs qui ne la reconnurent pas et
qui immobiles, bouches bées et sans doute quelque peu assommées par
des substances illicites contemplaient cette miraculeuse inconnue.
Un
quart d’heure avant minuit, profitant d’un temps de repos des
musiciens entre deux danses, Cendrillon s’échappa ; en un
instant elle se retrouva au coin de sa cheminée, dans son état
coutumier où la bonne fée l’attendait.
Au
Nouveau Casino, comme frappée d’inutilité, la fête s’arrêta.
+++
Cendrillon
raconta sa soirée à la fée et lui apprit que le Prince de la mode
l’avait invité la semaine prochaine ; la fée lui conseilla
de remettre une citrouille dans le congélateur et dé prévoir un
nouveau rat, puis elle disparut car on sonnait à la porte. C’était
les trois sœurs et leur mère qui revenaient du bal. Cendrillon leur
demanda si la soirée s’était bien passée et elles lui dirent
qu’elles avaient vu une star mais elles ne savaient qui c’était :
elles s’empressèrent de consulter leur collection de Voici et de
Voilà et de Gali et de Gala pour l’identifier, mais en vain. Elles
conclurent qu’elles essayeraient d’en savoir plus le samedi
prochain et Cendrillon leur demanda si elle pourrait les
accompagner ; cette requête provoqua leur rire et leurs
moqueries.
Le
Prince de la mode vécut cette semaine dans une grande impatience
aussi le samedi soir attendit-il fébrilement la venue de l’inconnue.
Elle arriva enfin plus splendidement parée que la première fois
et la fête fut telle que Cendrillon en oublia le temps qui
inexorablement passait, aussi quand sonna le premier coup de minuit
fut-elle toute surprise et dut-elle brutalement s’enfuir ;
dans sa course elle perdit un de ses escarpins de vair que la prince
ramassa…Intrigué par ce départ précipité il interrogea les gens
dans la rue mais ils n’avaient rien vu, peut être une punkette qui
portait une citrouille sur laquelle était juché un gros rat , rien
de remarquable en tout cas dans ce quartier habitué aux
excentricités.
Désespéré,
dans son show-room de la rue Réaumur le Prince de la mode, serrant
sur son cœur le petit escarpin de vair, réfléchissait aux moyens
de retrouver la belle inconnue dont il était épris, rien d’autre
ne l’intéressait , pas même la préparation de ses collections de
printemps-été. Il fit paraître des messages quotidiens dans la
rubrique de petites annonces de Libé, il fit de même sur son blog ,
et profita d’une interview sur Radio Nova pour lancer un appel en
direct, mais n’obtint pas de réponse ; Cendrillon, occupée
par ses tâches ménagères ignorait ses efforts. Le prince de la
mode s’abandonna à la morosité, il passait des heures immobiles
à contempler le petit escarpin et rien ne pouvait l’arracher à
ses pensées noires. Bientôt ses affaires périclitèrent, le cours
de ses actions baissa dangereusement, puis sa griffe fut rachetée
par une firme multinationale luxembourgeoise ; abandonné de
tous, tout entier à ses son obsession , il ne s’en souciait
guère. Enfin, dans une tentative désespérée il fit placarder dans
tout Paris une annonce : il épouserait la jeune fille à qui le
petit escarpin irait comme un gant.
+++
Attirées
par l’appât de la supposée fortune et de la vie mondaine du
Prince de la mode toutes les bimbos parisiennes se présentèrent rue
Réaumur dans le show-room maintenant bien déserté pour essayer de
chausser l’escarpin, en vain : le pied était toujours trop
petit ou trop grand. Même les sœurs de Cendrillon firent l’essai,
mais leurs pieds furent bien trop grands. Elles en parlèrent à
Cendrillon qui, à la description reconnut son escarpin et décida de
faire une tentative. Ses sœurs ricanèrent et décidèrent de
l’accompagner, bien décidées à profiter d’une humiliation
publique qui les vengerait de celles qu’elles avaient elle même
ressenties lors de leurs propres essais.
Lorsque
Cendrillon s’agenouilla devant le Prince de la mode pour essayer la
chaussure, celle-ci s’adapta à son pied comme un gant. Lorsqu’elle
se releva, c’était le Prince qui était à genoux, il l’avait
reconnue. Les trois soeurs de Cendrillon étaient stupéfaites, avant
qu’elles ne reviennent à elles, le show-room était vide.
Cendrillon et celui qui déjà n’était plus que l’ex- Prince de
la mode, avaient hélé un taxi et s’étaient dirigé paraît-il
vers une grande gare parisienne. Depuis on a à peu près perdu leurs
traces bien que certains prétendent que le couple gère
tranquillement une boutique de produits bio et solidaires quelque
part dans le Lubéron.
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