Novembre
Le
ciel était gris-bleu et le soleil de novembre, invisible, diffusait
une douce lumière ocre, ourlait de festons dorés les rares flocons
de nuages blancs perdus dans la grisaille. Un crachin très fin
tombait par intermittence, et l’on n’entendait que le crépitement
des vagues, le cri des mouettes, et le sifflement du vent dans les
landes. La mer était couleur d’amande et le tapis des bruyères se
teintait déjà de taches violettes. Au bas des falaises, quelques
aigrettes sondaient les gravières ; dans les criques, huîtriers
et tournepierres fouillaient la vase, les bécasseaux avançaient
puis reculaient devant le déferlement des vagues. Le vent frisquet,
soufflant entre les averses apportait des effluves de goémon.
Sur le chemin des
douaniers quelques couples de retraités faisaient leurs promenades
de santé, silencieusement, sensibles à la grandeur du paysage, tous
semblablement vêtus de parkas rouges ou bleues et de bonnets
marins, tous ou presque accompagnés d’un chien. Seuls les chiens
différaient ; cela allait du ridicule pékinois au terre-neuve
obèse halant son maître, mais l’on pouvait constater une
prédominance du caniche abricot.
Au
tournant du chemin une vision détonante, trois hommes affublés,
sanglés dans des costumes anthracite, les cravates criardes, les
visages rougeauds, vraisemblablement trois « commerciaux »
accomplissant une marche digestive. Leurs cris, leurs gros rires,
leurs grands gestes troublaient la quiétude, l’harmonie du lieu
et du moment. Je les croisai et entendis ces paroles « juste
bon pour barboter mais ça ne vaut pas la Côte ! ». J’eus
instantanément un désir impulsif, irrésistible, de meurtre, je
jaugeai la situation : la hauteur de la falaise, personne en
vue…, la chute serait fatale. Mais ils étaient trois et j’étais
seul, l’impossibilité d’agir fut assurément la seule chose qui
m’arrêta, ce ne fut pas ma conscience morale qui se trouva
bizarrement abolie. D’ailleurs, rien que d’y penser, je regrette
encore, non mon impulsion, mais de n’avoir rien fait.
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