Dans
le métro
C’est
toujours comme ça, il suffit qu’on soit pressé pour qu’il y ait
un incident dans le métro. En partant j’avais déjà une
appréhension, je me doutais qu’il allait se passer quelque chose.
Ça avait commencé avec cette vieille dame qui était montée à
République. Elle était si vieille qu’il était impossible de lui
donner un âge, impossible aussi de la situer socialement, c’est
pourtant une de mes distractions favorites dans le métro :
observer les gens, deviner à leur allure, à leurs vêtements ce
qu’ils sont, ce qu’ils font. Toute voûtée, le visage ridé
comme un fruit sec, la vieille dame portait un manteau élimé et un
informe chapeau noirs. Voyant que personne ne se levait et en
particulier les deux lycéens assis en face de moi, je m’étais
décidé à contrecœur à lui céder ma place.
C’est
entre Gare de l’est et Gare du nord que le métro s’arrêta.
D’une voix hésitante le conducteur, peu habitué à jouer les
hôtesses de l’air, annonça « nous vous demandons quelques
minutes de patience, la rame va bientôt repartir ». Comme
toujours en cette occasion les gens étaient silencieux, habitués,
blasés .Il y eut bien quelques grommellements mais ce fut tout.
L’attente
se prolongeait. « Mesdames et messieurs prenez patience,
l’incident est terminé, le métro va bientôt repartir ». A
ce moment une voix aigre, criarde, se fit entendre « sont
tous des feignants, ne veulent rien faire, quand c’est pas la grève
c’est un incident, sale époque, personne veut travailler, la
France est foutue … » C’était ma vieille dame ;
déchaînée, elle débitait ses litanies et rien ne semblait pouvoir
l’arrêter. Des gens échangeaient des regards, certains
consternés, d’autres malheureusement complices ; d’autres
encore, gênés, contemplaient leurs pieds ou plongeaient dans leurs
lectures. En face d’elle les deux lycéens étaient stupéfaits,
figés, les yeux hagards. La rame démarra ; la vieille dame
continuait sa harangue, maintenant c’était aux étrangers qu’elle
s’en prenait : « tous des voleurs, des bandits,
des violeurs de femmes. »
J’éprouvais
une honte mêlée de rancœur, dire que je lui avais cédé ma place,
quelle vieille peau, j’aurais dû la laisser crever debout !
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