Tout ça n’empêche pas Nicolas...
Pièce de Claude Weill
mise
en scène de Gabriel Debray
créée en juin 2008 au LOCAL-THEATRE à Belleville, Paris 11
présentée en mai 2009 devant l'association des AMIS de la COMMUNE
Tout ça n'empêche pas
Nicolas
Qu'la commune n'est pas morte...
Chanson d'Eugène Pottier (1886)
créée en juin 2008 au LOCAL-THEATRE à Belleville, Paris 11
présentée en mai 2009 devant l'association des AMIS de la COMMUNE
Tout ça n'empêche pas
Nicolas
Qu'la commune n'est pas morte...
Chanson d'Eugène Pottier (1886)
17 mars
ACTE I
Deuxième étage
à table
Victor
Encore un que les Prussiens n’auront
pas !
Louise
Et bien profite
déguste
apprécie
prend ton temps
tu risques pas d’en voir avant
longtemps
Victor
qu’est ce que tu dis là ?
Louise
profite
bientôt ce sera fini
les Prussiens ont tout pris
y’a plus un tonneau
plus une bouteille
tu vas retrouver le goût de l’eau !
Victor
quand je pense au petit Thiers
lui, il ne doit pas se priver
le foutriquet
Louise
oh ! je ne m’inquiète pas pour
lui
c’est pour nous que je m’inquiète
et profite de ton ragoût aussi
parce que la viande,
y’en a plus non plus
au marché aux rongeurs
il n’y a plus un rat , plus une
souris, plus un mulot
Victor
les rats je sais pas
mais ton ragoût l’est drôle
l’est pas bien ragoûtant
l’a un drôle de goût
Louise
te pose pas de question
fais pas le difficile
ferme les yeux
respire un bon coup
pince toi le nez si tu peux
et mange
Victor
moi je mange pas n’importe quoi
c’est quoi ?
allez dis le moi !
Louise
mange d’abord
je te dirai après
Victor
non, non ça ne passera pas
je veux savoir
si je sais pas
ça passera pas
Louise
y’a du pain noir
je sais pas ce qu’ils y mettent
y’a plus de son que de farine
et peut-être même il y a de la sciure
de bois
et de la glaise aussi peut-être bien
et si ça continue
on va manger les Buttes Chaumont
et quand y’en aura plus
on attaquera Montmartre aussi
y’a du pain noir
et puis y’a autre chose
Victor
pour le pain je sais, c’est pas ce
qui m’inquiète
c’est la viande
ou ce qui ressemble à de la viande
elle a une drôle d’allure
je sens que ça passera pas
c’est quoi
Louise
devine
Victor
je donne ma langue au chat
Hé !en parlant de chat
ce n’est pas du matou j’espère?
Louise
Mon pauvre ami
y’a plus un matou à Belleville
sont tous passés à la casserole
pauvres matous
pauvres minous
Victor
allez me fait pas languir
c’est quoi ?
Louise
en fait je sais pas trop
Victor
tu sais
je sais que tu sais
c’est de la viande, mais de quoi ?
Louise
de l’éléphant
on m’a dit
Victor
quoi ?
Louise
de l’éléphant
mais c’est un bon morceau paraît
c’est le meilleur paraît
mais faut que ça cuise longtemps
et comme on n’a plus de bois
Victor
de d’éléphant
voilà qu’on mange de l’éléphant
tu crois que le petit Thiers il mange
de l’éléphant
dans le palais des rois
Louise
t’inquiète pas pour le Foutriquet je
t’ai dit
et mange parce que ça refroidit
et là aussi profite
demain y’en aura plus non plus
à la ménagerie les cages sont vides
Victor
et bien tant mieux parce que moi je
sais avec quoi on devrait les remplir les cages
j’y mettrai Thiers, Jules Favre,
Jules Simon, tout le gouvernement, les généraux, Guillaume et son
Bismarck et s’il reste de la place j’y mettrai toute l’assemblée
Eugène (en entrant)
vaste programme papa
et comment tu vas faire ?
Victor
Hé !voilà La Garde Nationale
elle sert à quoi
la Garrrde natïonale
Eugène
Elle a bon dos la Garde
tu sais y’a de tout dans la Garde
Nationale
mais laisse la un peu tranquille la
Garde
parce que m’est avis qu’elle va
avoir du boulot
Victor
assieds toi
Eugène
ça sent bon
c’est quoi ?
Louise
Sers-toi
Eugène
maman, tu es une magicienne
qu’est ce que tu as mijoté là
c’est pas du bœuf quand même
Louise
c’est pas du bœuf
ça non
du bœuf
et quoi encore
tu en as de bonnes
où j’en trouverais du bœuf
par les temps qui courent
Victor
tu devineras jamais
Louise
allez !
je te le dis
sans te faire languir
c’est de l’éléphant
Eugène
ah ! ben ça fait la deuxième
fois que j’en mange
mais toi, on peut dire que tu as le
coup de main
on croirait du rat
Louise
merci pour le compliment
et qu’est ce qui t’amènes
tu t’es fait rare ces jours ci
on se voit quasiment plus
Eugène
ben c’est qu’on s’organise !
…………………………..
j’ai réussi à avoir quelques
bougies, alors je me suis dit
Louise
ah ! ça c’est vraiment gentil
on a toujours besoin de bougies
et Clémentine elle n’est pas là
où tu l’as laissée Clémentine
Eugène
elle est à la lingerie
c’est bien la seule qu’a encore du
travail
qui a besoin d’un zingueur
aujourd’hui
mais même pour elle y’a plus
beaucoup de travail
elle devrait pas tarder
Victor
y’a plus de travail…c’est bien
vrai…
au lieu de faire des serrures j’aurais
dû me mettre armurier
là j’aurais prospéré…
t’es au courant
monsieur je sais-tout
paraît que les Prussiens ont défilé
sur les Champs- Elysée
Mais ils sont vite partis
c’est bizarre aussi
qu’ils soient vite repartis
Eugène
je vais te dire papa
les Prussiens sont partis
c’est pour laisser faire
le petit Thiers,
depuis toujours il se méfie des
Parisiens
depuis 48 il se méfie
c’est sûr il craint plus les
Parisiens que les Prussiens
alors il s’est arrangé avec le
Bismarck
il lui laisse la place Bismarck
et Foutriquet
il prépare un sale coup
c’est pourquoi il faut qu’on soit
prêt
mais attention
Le comité central de la Garde l’a
dit
pas un coup de feu ne sera tiré par le
peuple
on ne se défendra que si l’on est
agressé
Victor
ouais !
Je me demande bien ce qu’on attend
ils sont pires que les Prussiens
tous ces généraux incapables
les Trochu, les d’Aurelle, les Vinoy
faut pas les laisser faire
mais qu’est-ce qu’on attend pour
leur mettre une raclée
Eugène
ce qu’ils craignent
c’est la garde nationale
et son comité central
s’ils attaquent on se défendra
mais pas avant
Victor
écoutez-moi ce matamore
« s’ils attaquent on se
défendra »
tu crois qu’ils vont te demander la
permission
à la place de ton comité
je prendrai vite les devants
on va pas recommencer comme en
quarante-huit quand même
tous ces petits jeunes gens sont bien
naïfs
ça se pavane et ça défile
et pendant ce temps
le foutriquet et ses roquets
eux
ils le perdent pas leur temps
crois moi
Louise
ils ont perdu l’Alsace et la Lorraine
mais ils veulent pas perdre Paris
ils veulent se rattraper sur Paris
Eugène
S’ils veulent la guerre civile ils
l’auront
mais j’y crois pas trop
Louise
et tu crois que ça leur ferait peur ?
en juin 48 les généraux
ils ont bien tiré sur les ouvriers
tu crois que ça les gênerait de
recommencer
je crois bien que ton père a raison
Victor
Bien sûr que j’ai raison
« j’y crois pas trop »
ah ! On est bien protégé !
………………………
passe moi la bouteille
encore un que Foutriquet n’aura pas !
Dans les soupentes
Giuseppe
Mais qu’est-ce que je fais dans cette
soupente ?
Belleville c’est bien, c’est
chaleureux
mais c’est pas là que je vais vendre
mes croquis
il en a de bonnes l’ami Courbet
on lui crache dessus
mais lui, il expose
il se couche
il se couche
Gloire
Giuseppe ! Giuseppe ! Es-tu
là ?
Giuseppe
Entre donc, Gloire
Gloire
Comme il fait sombre chez toi
je t’ai porté des bougies
Giuseppe
Encore ! Non, me dis pas d’où
ça vient
je ne veux rien savoir
Gloire
et pourtant tu le sais bien
tu vas pas être jaloux quand même
Giuseppe
Je te dis que j’aime pas ça
Gloire
Tu as fait de nouvelles peintures ?
Giuseppe
Je ne peins plus
Gloire
Tu ne peins plus ? Pourquoi ?
Giuseppe
je n’ai plus un picaillon
je n’ai plus de couleurs
mais je dessine
je n’ai plus de crayon
mais j’ai encore un peu de charbon
pas suffisamment pour chauffer
alors je dessine au charbon
j’ai changé de manière
c’est ma manière de guerre
Gloire
montre moi
Giuseppe
non, je veux pas
Gloire
Allez, montre moi…
Giuseppe
non, ne regarde pas
Gloire
Mais c’est moi
Giuseppe
Je t’avais dit de ne pas regarder
Gloire
Mais c’est quoi
c’est des ailes
tu m’as fait des ailes
c’est un ange
un ange !
ah ! c’est trop fort ça
Un ange
mon pauvre Giuseppe
un ange maudit oui !
Giuseppe
c’est moi qui suis maudit
plus un radis
déjà le 17 mars
bientôt le terme
et je n’ai pas un sou
Gloire
t’en fait pas, ceux du premier
ils peuvent attendre
et puis… je vais m’en occuper
Giuseppe
ça je sais
ça m’ennuie quand même quand tu
t’en occupes
surtout avec le père Félix
Gloire
tu vas pas faire dans les sentiments
Le père Félix en ce moment
il se tourmente pour ses affaires
il sait pas comment ça va tourner
remarque on a toujours besoin de
bougies…
et les Prussiens aussi…
il traficote avec eux
il insistera pas
crois moi
c’est facile de le faire chanter
on n’a pas à s’en faire
t’inquiète pas pour ton loyer
Au premier
le repas est fini
Félix
Finalement, ces Prussiens
ils sont très corrects
Et puis ça paye rubis sur l’ongle
leur intendance est très organisée
ça pour l’organisation
ils sont très bons les Prussiens
Julienne
oui père
mais ce sont des Prussiens quand même
Félix
et alors ma fille
ça vaut mieux que toute cette racaille
républicaine
à cause de ces gens là nous avons
subi des mois de siège
il y a des mois que cette guerre
devrait être terminée
sans cet imbécile de Gambetta et son
acharnement stupide
Julienne
n’empêche que ça n’a pas nui à
nos affaires
vous le dites vous-même père
Félix
bien sûr, bien sûr
et heureusement ma fille…
mais ce qui m’inquiète c’est cette
agitation
on devrait désarmer cette garde
nationale
et arrêter tous ces scélérats
cette racaille
quand je pense à ce bandit qu’on a
condamné
mais qu’on n’a pu arrêter
et qui court encore , dieu sait où
Comment il s’appelle déjà
Julienne
vous voulez dire ce triste individu
ce Blanqui
Félix
oui c’est ça
ce Blanqui
c’est pas un Italien encore
comme cet autre là
ce Garimaldi, Gari chose
Blanqui
Garimaldi
des étrangers
comme ce peintre la haut
cette fois s’il ne paye pas son terme
je le vire
Ce Gari-chose…
heureusement qu’on l’a suspendu de
l’assemblée
Julienne
oui vous savez
que le vieil Hugo a démissionné
Félix
bon débarras
il n’a plus sa raison cet homme là
Félicie
quand même
Hugo
vous y allez fort
c’est pas n’importe qui
Félix
un poète ma chère
c’est comme une femme
pour les émotions c’est très fort
mais ça ne devrait pas faire de
politique
Julienne
vous parlez pour moi père ?
Félix
mais non ma fille
vous vous êtes raisonnable
je pense à votre mère
et à ses satanés sentiments
Julienne
toute cette agitation va cesser
vous connaissez mon amie Adrienne
avec qui je chevauche au bois
celle dont le père est au ministère
de la guerre
et bien cette fois ils sont décidés
le General d’Aurelle a rappelé des
troupes fraîches
c’est l’affaire de quelques jours
m’a-t’elle dit
et l’ordre reviendra
avec d’Aurelles et Vinoy
croyez-moi pére
la racaille sera remise au pas
Félicie
Vous me faites peur quand vous parlez
comme ça
on croirait votre père
il y aura encore des morts
vous pensez qu’il n’y pas eu assez
de misère
la guerre, le siège,la faim, la peste,
le cholera
il y tellement de pauvres gens
quand donc ça finira
mais quand donc ça finira
Félix
vous êtes bien trop sensible ma bonne
s’il faut des morts il y en aura
on ne fait pas d’omelette sans casser
des œufs
………………………..
tiens à propos d’omelette
j’en mangerait bien une demain
Berthe
encore heureux qu’on ait des œufs
bien des gens nous envieraient
y’a donc encore des poules à Paris
Julienne
ça ma chère Berthe c’est mon
secret
comme dit père les affaires sont les
affaires
Félicie
Vos fréquentations m’inquiètent ma
fille
avec toute cette agitation
il n’est pas prudent de courir les
salons
et ces personnes en armes dans les rues
ce n’est peut-être pas le moment de
côtoyer certaines gens
et d’aller promener au bois
je ne suis vraiment pas tranquille
Berthe
Je sers le thé ?
Félix
mais voyons Berthe
vous n’y pensez pas
servez au salon
malgré la dureté des temps
nous devons montrer l’exemple
ne changeons rien à nos habitudes
Berthe
et nous avons du thé aussi !
Julienne
à la guerre comme à la guerre
ma bonne Berthe
quand on sait se débrouiller
qu’on a des amis bien placés
Félicie
j’ai presque honte
quand on voit tout ces gens qui
manquent
tous ces mendiants
et ces veuves
et ces blessés
ces prisonniers
ces orphelins
Félix
ah ! Félicie arrêtez
de pleurnicher
vous allez nous gâcher le thé
c’est un moment privilégié
Vous et vos stupides sentiments !
vous n’allez pas pleurer dans notre
thé !
Félicie
On dira ce qu’on voudra
mais votre empereur
il en aura fait des dégâts
Félix
Félicie maintenant ça suffit
ne vous mêlez pas de politique
vous n’y connaissez rien
alors, tenez votre rang
allons prendre le thé
Berthe
vous servez
au salon comme d’habitude !
Devant la loge
Clémentine
Ah ! madame Leroux
toujours les armes à la
main
Madame Leroux
S’il faut se battre
avec ça
bah ! pourquoi pas
dis ma petite Clémentine
tu rentres bien tôt
aujourd’hui
Clémentine
mon dieu oui
on a dû fermer
Paris n’est pas sûr
paraît qu’il y a des
mouvements de troupe vers Montmartre
il y en a même qui
cantonnent tout près d’ici
au Château d’eau
on m’a dit
moi je n’ai rien vu
je me suis dépêchée
pour rentrer
mais j’ai vu les
affiches du Comité Central
paraît qu’on veut
désarmer la Garde
Me Leroux
et tout ça sous l’œil
des Prussiens
ils devraient avoir honte
d’ailleurs où ils sont
passé ceux là
Clémentine
On dit que Thiers veut
déca
j’arriverai jamais à
le dire
dé-ca-pi-ta-li-ser Paris
je sais pas trop ce que
ça veut dire
Me Leroux
on a donné l’Alsace et
la Lorraine
maintenant on va pas
abandonner Paris
Clémentine
tous ces généraux
incapables
qui nous ont livré à
l’ennemi
ils veulent faire les
braves devant les Parisiens
ils paraît qu’ils ont
voulu prendre les canons
cantonnés Place des
Vosges
nos canons
et bien devant les pavés
des gardes nationaux
ils ont dû reculer
ils n’ont pas osé
tirer leurs chassepots
Me Leroux
qu’ils y viennent à
Belleville
je leur montrerai bien
moi
qui est brave et qui ne
l’est pas
je peux me servir de mon
balai
Clémentine
c’est sûr
avec ça
Madame Leroux
vous allez les effrayer
Me Leroux
ris donc ma fille !
Quand je suis en colère
ça peut faire des dégâts
tu t’imagines
toutes les concierges de
Belleville
tous les concierges de
Paris
avec leurs bonnets
armés de leurs balais
marchant en rangs serrés
et au pas cadencé
ça en ferait une belle
armée !
ACTE II
29 mars
En route vers la loge
Eugène
Vive la Commune !
Clémentine
Vive la Commune !
Eugène
Quelle journée
Clémentine
Quelle nuit
Eugène
Ô oui quelle nuit…
…………………
Quelle fête, combien on
pouvait être ?
Clémentine
Oh ! Des centaines
de mille,
quel bonheur , quelle
joie
toutes ces musiques
ces fanfares
ces drapeaux
ces familles entières
des ouvriers, des
employés, des artisans
et toi… tu es beau mon
Eugène avec ton uniforme
Eugène
pas aussi beau que
Flourens quand même
avec quel yeux tu le
regardais
Clémentine
Les même que les tiens
mon Eugène
Eugène
C’est vrai qu’il est
beau le héros de Belleville
Clémentine
C’était vraiment le
plus beau jour de ma vie
Eugène
Allons ma Clémentine
ça ne fait que commencer
des jours
il y en aura d’autres
et d’autres
et de la joie aussi
tu vas voir
tout va changer pour les
ouvriers
Clémentine
Et dire qu’il y a 15
jours c’était l’hiver encore
tout était noir et gris
et froid
et maintenant c’est le
plus beau
des printemps chauds
Eugène !
Et regarde les gens comme
ils ont l’air heureux
……………….
Avant le peuple
je ne savais pas trop ce
que ça voulait dire
maintenant je sais
les gens sont comme nous
ils sont joyeux
Eugène
Enfin
pas tous
tu vois ce que je vois
Clémentine
Oh là là !le père
Félix
il en fait une tronche !
Eugène
les réjouissances
continuent
Devant la loge
Félix
ça va madame Leroux
Leroux
on fait aller monsieur
Félix
Félix
et bien…vous avez de la
chance…
dites moi…
Leroux
je sais de quoi vous
allez parler
depuis huit jours
vous,
vous ne pensez qu’à ça
à croire qu’il ne se
passe rien en ville
vous allez me parler du
terme
on est le 29
reste un jour encore
Félix
ça rentre j’espère
Leroux
ben vous savez mon bon
monsieur
avec ce qui se passe
Félix
Quoi ?
Qu’est-ce qui se passe
la guerre est finie quand
même
Vous me ferez le plaisir
d’insister
avant que je m’en
occupe personnellement
vous voyez ce que je veux
dire
Eugène
Bonjour madame Leroux
Félix
ça vous ferait mal de me
saluer
Eugène
Bonjour citoyen Félix
Félix
C’est quoi cette
mascarade
c’est quoi cet uniforme
qui ne ressemble à rien
je serais votre père
Clémentine
heureusement vous n’êtes
pas son père
Félix
vous êtes insolente
mademoiselle !
ah ! Décidément
nous vivons une sale époque
On ne respecte vraiment
plus rien !
Clémentine
faudra s’ habituer à
changer de ton
citoyen
Félix
Ne m’appelez pas
citoyen
et puis d’abord j’en
ai assez de vous voir dans cette maison
On entre et on sort comme
on veut !
le désordre ça suffit
c’est chez moi ici
vous n’avez rien à y
faire
c’est pas un hôtel ici
ici on a de la moralité
ou alors faudra payer
comme tout le monde
et vous jeune homme
uniforme ou pas uniforme
vous allez rappeler à
monsieur votre père
que demain c’est le
dernier jour du terme
et que j’attends
Eugène
si vous le prenez sur ce
ton
vous allez attendre
longtemps
je vous rappelle moi
que la Commune
Félix
la quoi ?
connais pas
c’est pas votre Commune
qui fait la loi
je suis propriétaire
j’ai des droits
et je les ferai respecter
Leroux
justement
monsieur Félix
j’aurais dû vous dire
Félix
quoi encore ?
Clémentine
la Commune a décrété
un
c’est quoi le mot ?
Eugène
un moratoire
Clémentine
un moratoire sur les
loyers
Leroux
c’est ce que je voulais
vous dire
Félix
un quoi ?
mais vous savez ce que
j’en pense moi de votre commune
un ramassis d’ignares,
d’incapables, des gibiers de potence
des dévergondés, des
gens qui savent à peine lire et écrire
et ça veut décréter
laissez moi rire
croyez pas que ça va
durer quand même
vous n’avez pas cette
illusion
et puis je me demande
bien pourquoi je perds mon temps à parler avec des gens comme vous
et vous madame Leroux
pensez à ce que je vous ai dit
faites votre travail
et quand à cette
demoiselle
arrivée de Gloire
et Giuseppe
Gloire
Salut la compagnie !
Et bien mon petit Félix
vous m’avez l’air
très colère
c’est la fête
aujourd’hui
Félix
ah ! vous aussi
vous n’allez pas vous y
mettre
je…je…
je ne suis pas votre
petit Félix
Eugène
Il est chagrin à cause
des loyers
Gloire
ça lui arrive
d’être chagrin
mais c’est un homme qui
a du cœur
et de la morale
et puis lorsqu’il est
chagrin
il se console vite
très vite
trop vite
si vous voyez ce que je
veux dire
n’est-ce pas mon petit
Félix
Félix
diablesse !
il part en
maugréant
Suspendre les loyers ?
Pfitt! N'importe quoi !
De toute façon, pour l'italien
De toute façon, pour l'italien
cela ne changerait pas grand chose
Il ne payait déjà pas ..... (un temps)
Mais ce charivari ne doit pas faire oublier les affaires
(après un regard sur l'immeuble)
Et faut pas compter présentement sur cette chienlit pour faire tourner la boutique !
Il ne payait déjà pas ..... (un temps)
Mais ce charivari ne doit pas faire oublier les affaires
(après un regard sur l'immeuble)
Et faut pas compter présentement sur cette chienlit pour faire tourner la boutique !
Gloire
ah ! mes amis
quelle semaine !
quelle semaine !
les canons
les élections
la proclamation de la
Commune !
quel printemps
mais quel printemps
on va pouvoir vivre
enfin !
depuis une semaine
je n’ai pas vu le temps
passer
aux Buttes-Chaumont
on a repris les canons
fraternisé avec la
troupe
on s’est retrouvé à
l’hôtel de ville
puis à Belleville
au comité de quartier
avec les femmes
pour préparer les
élections
bien qu’on ne puisse
pas voter
puis c’est la fête
c’est la fête
la liberté !
Eugène
on ne vous reconnaît
plus Gloire
Gloire
moi non plus je ne me
reconnais plus
ou au contraire je me
connais enfin
Giuseppe
oui !
moi aussi j’aimerais
bien être connu
mais c’est une autre
histoire…
vous avez raison tous
C’était très noble
très beau
un peu grandiloquent
quand même
Gloire
allons mon petit Giuseppe
ne sois pas rabat-joie
Giuseppe
mais pas du tout
je suis heureux aussi
mais je n’exulte pas
une fête
ça s’organise
ça ne s’improvise pas
il y des artistes pour ça
eux…ils savent faire
y’a une commission
constituée
avec des gens célèbres
Courbet, Corot, Daumier,
Manet, Dalou
on va travailler pour la
Commune
j’ai plein d’idées
libre expansion de l’art
dégagé des tutelles
indépendance des
artistes mais solidarité
gouvernement du monde des
arts par les artistes
gestion des musées
enseignement artistique
gratuit et pour tous
on va rouvrir les musées
préparer la grande
exposition des artistes de la Commune
Clémentine
ouais !
ben, il est pas prêt de
revoir son loyer le père Félix !
Premier étage
Félicie
Qu’est-ce que vous lisez là ma
fille ?
Julienne
Madame Bovary de Flaubert
Félicie
Je ne suis pas sûr que ce soit une
lecture bien convenable pour une jeune fille
Julienne
Bien sûr ce n’est pas le bulletin
paroissial !
Félicie
Je devrais en parler à votre père
Mais il a tant de soucis
D’ailleurs le voilà
Félix
Ca fait du bien de rentrer chez soi
un peu de calme !
J’ai tant de choses à penser
et puis les loyers qui ne vont pas
rentrer
c’est un comble !
Julienne
En effet papa
il est temps de prendre une décision
car voyez-vous
c’est une insurrection
Félix
Une décision ma fille
certes…Mais ce n’est pas si simple
que voulez-vous dire ?
Julienne
Tous mes amis sont partis
Adrienne est à Versailles
dans son dernier courrier elle me
presse de la rejoindre
nous n’avons plus rien à faire ici
Félicie
Mais qu’irions nous faire à
Versailles
…….
Berthe, que faites vous là ?
Allons ma fille
débarrassez !
……
à Versailles !
Félix
Notre fille n’a pas tout à fait tort
s’il n’y avait pas mes affaires
Julienne
Mais père
vos meilleurs clients sont partis
ils sont à Versailles aussi
ou en province
vous savez la campagne est bien
tranquille
les ruraux soutiennent le gouvernement
et puis c’est l’affaire de quelques
jours
ça nous fera des vacances
Félicie
Mais je ne tiens pas à laisser ma
maison
avec tous ces gens qui s’agitent à
Paris
ce n’est peut être pas prudent
Félix
Non, non
Julienne a raison…
En principe…
mais si je laisse l’atelier…
mon commerce
qui va s’en occuper ?
à l’heure qu’on vit
on ne peut faire confiance à personne
et puis quand je vois ce qui est arrivé
à Michaud, mon concurrent
il a pris les devants
il est parti dès le 18 mars
et bien ses ouvriers font marcher
l’atelier
à leur compte !
A leur compte
on aura tout vu !
non
il y a vraiment trop de risques…
Julienne
Pour la maison
Berthe peut s’en occuper
ça ne la changera pas beaucoup
mais pour l’atelier…
Félicie
Mais si je veux rester
je peux m’en occuper moi !
Félix
Allons
je n’ai pas envie de rire
vous déraisonnez
il y déjà assez de désordre en ville
vous n’allez pas tout chambouler
ce n’est vraiment pas votre place !
Cessez donc de dire des bêtises !
……
pour l’atelier il n’y a pas de
solution
…..
et puis
le plus drôle
….
enfin
…..
décidément je n’ai pas envie de
rire
…..
ma plus grosse commande
…….
C’est l’hôtel de ville !
l’hôtel de ville !
Julienne
vous voilà dans de beaux draps !
Félicie
Alors on va rester
tant mieux !
Ca arrange mes affaires aussi !
Félix
Comment ça tant mieux ?
Comment ça vos affaires ?
Félicie
Et bien
à mon tour de vous faire un aveux
……..
Le bureau de bienfaisance de la
paroisse
a repris ses activités
et j’ai promis…
Félix
ah ! non, alors !
la guerre est finie Félicie
et la bienfaisance aussi !
Pour qui voulez-vous vous dépenser
maintenant ?
Félicie
la vie est difficile pour les
malheureux
Félix
Les malheureux !
laissez donc leur Commune s’occuper
d’eux
il est vraiment trop bon votre curé
il ne pactiserait pas avec les
incrédules, les païens ?
Félicie
Et la charité chrétienne ?
Julienne
Il est bien question de charité
chrétienne
souvenez vous des généraux Clément
et Thomas !
Entre Berthe
Félicie
C’était des hommes de guerre !
Félix
Vous perdez la tête Félicie
heureusement moi
je ne m’égare pas !
je garde ma tête froide !
Et votre fille aussi !
…..
alors voilà ce qu’on va faire
vous
ma fille
vous partez à Versailles rejoindre
votre amie
……
Je reste à Paris avec votre mère
en attendant que les choses se tassent
……
bien entendu si ça tourne au vinaigre
nous vous rejoignons
……
ah !
j’oubliais le plus important
je vais vous confier une grosse somme
d’argent
que vous mettrez à l’abri sur mes
indications
on n’est jamais assez prudent…
Berthe,
Qu’est ce que vous faîtes là ?
Vous n’avez rien à faire en
cuisine ?
Berthe
J’y retourne monsieur !
Deuxième étage
Victor (entrant)
Vous gênez pas surtout
Eugène
Bien, on t’attendait pas !
Victor
Je vois !
Surtout vous dérangez pas pour moi ?
Louise (entrant)
Qu’est-ce qui se passe ?
Victor
C’est rien !
Eugène
Tu tombes bien , on voulait te
parler
et à toi aussi maman
Louise
Ca m’a l’air sérieux
Eugène
C’est à propos de la Commune
Louise
Ah ! Bon !
Je pensais à autre chose !
Victor
Alors je m’assois
y’aurait pas un petit quelque chose à
boire
Louise
C’est sérieux on te dit !
Eugène
Voilà !
Je ne vous comprends pas
Vous parlez toujours des ouvriers
de la République
du socialisme
de quarante-huit
et là !
Quand on a besoin de vous
vous ne bougez plus
vous restez dans votre coin
Pourquoi ?
Victor
Si je comprends bien
tu nous fais des reproches
Clémentine
Non ! C’est pas ça
on cherche à comprendre
Victor
Vous êtes bien jeunes tous les deux
En un sens je vous envie
J’étais comme vous en 34, en 48
et puis il y a eu les journées de juin
l’empire
Nous on a souffert pour la cause
faut pas oublier ça
il y eu des morts, des déportés,
l’exil
moi-même….
Non, ça fait trop de mal…
Louise
Ce que ton père veut dire
c’est que maintenant
on se méfie
C’est pas qu’on a peur
mais on se méfie…
Clémentine
Mais cette fois ça va marcher
j’en suis sûre !
Victor
Je l’espère ma petite Clémentine
mais tu vois
pour nous c’est trop tard
je vais vous dire
je suis de tout cœur avec vous
mais c’est trop tard
il chante
« Aimons nous, et quand nous
pouvons
Nous unir pour boire à la ronde,
Que le canon se taise ou gronde
Buvons, buvons, buvons,
A l’indépendance du mon-onde ! »
pour nous c’est trop tard…
Eugène
Comment c’est trop tard
ce n’est jamais trop tard !
On a besoin de gens comme vous !
regarde Delescluze, il a ton âge,
je crois même qu’il est plus vieux
tu l’aimes bien Delescluze..
Louise
Delescluze…
Victor
Il est comme moi Delescluze
comme moi et tous les copains
Il a dû prendre de la bouteille
Louise
Ah ! pour prendre la bouteille…
toi et tes copains…
Victor
Ho ! ça va !
………..
Bien sûr vous avez raison de vous
battre
bien sûr
et même je vous encourage…
mais …
Delescluze
il sait bien à qui il a affaire
cette crapule de Thiers
ce massacreur
cette ordure
il a tout fait
toutes les saloperies du siècle
il en est !
les canuts de Lyon
la rue Transnonain
48
il est toujours là
Croyez moi
il n’hésitera pas
il n’est pas à un carnage près !
…………..
A l’hôtel de ville !
ça cause
ça cause
et ça n’a pas fini de causer
des causeurs y’en a !
et c’est pas des paroles et des
uniformes dorés dont on a besoin
il faut des armes
et des soldats
pour les porter
et ça c’est plus de mon âge…
Eugène
des armes on en a
et des soldats
y’a tout le peuple de Paris
Clémentine
même les femmes !
Victor
Ouais ! Passons !
Et qu’est ce qu’elle veut faire la
Commune
c’est quoi son programme ?
nous en 48 on savait ce qu’on voulait
c’est la république sociale !
Pas celle des égorgeurs
des Tiers et des Cavaignac
Pas celle des tièdes, de Favre ou de
Gambetta !
Eugène
Et bien tu vois on est d’accord
la République sociale !
mais ça se fait pas du jour au
lendemain
pour ça faut discuter
faut faire des propositions
pas au sommet
à la base
dans les comités de vigilance
dans les commissions d’arrondissements
dans les fédérations de métiers
dans les bataillons fédérés
et après ça va remonter jusqu’aux
commissions,jusqu’à nos élus
Des idées il y en a
des blanquistes, des fouriéristes, des
communistes,
des proudhoniens, des garibaldiens ,
des francs-maçons,
des jacobins…j’en oublie…
c’est comme ça qu’on va faire la
Commune
la République sociale !
avec tous ces gens là !
On va la faire !
Victor
Bien sûr,
Présenté comme ça
c’est bien tentant
Louise
C’est sûr c’est tentant !
Victor
En tout cas ça fait du bien de parler…
Louise
c’est sûr
ça fait du bien….
Au fait tu n’as pas soif ??
Victor
et bien non
ça va t’étonner
j’ai pas soif !
Devant la loge
Berthe
Ah ! Madame Leroux
bonjour!
Leroux
et bien Berthe comment allez-vous
vous revenez des courses ?
Berthe
J’étais au pain
comme tous les jours
y’a moins de queue on dirait
Leroux
pour sûr
c’est mieux approvisionné
Berthe
Par contre y’a du monde dans la rue
et ça cause,ça cause…
Leroux
Ben oui
ça vous étonne ?
Berthe
ben, ça m’inquiète
vous savez, moi
à part le pain
j’ai pas trop l’occasion de sortir
je sais pas trop ce qu’il se passe
Leroux
Ah ! ça !
Il s’en passe des choses !
Mais faut pas vous manger les sangs
c’est plutôt bien !
Berthe
oui, les gens ont l’air contents
je ne comprends pas…
Parce que mes patrons
ça n’ a pas l’air d’aller bien
fort
c’est surtout ça qui m’inquiète
Leroux
Ah oui ! Tiens !
C’est pas pour m’étonner
je l’ai vu pas plus tard que tout à
l’heure le père Félix
il est de méchante humeur !
Berthe
C’est cette Commune
Moi, je m’intéresse pas à la
politique
mais là-haut ça les embrouille
ça ne parle que de ça
Leroux
Ah oui ! Et ça dit quoi ?
Berthe
Ils savent pas s’ils doivent partir
s’ils doivent rester
je crois bien que la petite demoiselle
ils vont l’envoyer à Versailles
Leroux
A Versailles
voyez-vous ça !
La petite demoiselle !
Tiens donc !
Et les parents ils vont rester ?
Berthe
Ben, lui il est pas trop chaud pour
rester
mais c’est à cause de son affaire
Leroux
Je pense bien
Berthe
Vous comprenez
tout ce remue ménage
moi, ça me tracasse
Leroux
Vous avez bien tort
Berthe
ah ! oui
vous en avez de bonnes
c’est pourtant votre patron aussi !
Leroux
Ouais, les patrons
ces temps ci, ils sont pas à la fête
C’est pas pour me déplaire
Berthe
Alors là faudrait m’expliquer
je suis un peu perdue
Leroux
Ah ! décidément vous ne savez
rien de rien !
Comment vous dire ?
Aujourd’hui, voyez-vous
c’est plutôt la fête des ouvriers,
des gens comme nous !
Berthe
Ah oui ?
Leroux
Et oui, avec la Commune
nos élus
c’est pas des gros
des gens importants
avec des chapeaux et des gants
pas des patrons
c’est des gens comme nous
des petits,
Tout va changer !
Vous allez voir !
Tenez moi je sais pas bien expliquer
demandez donc à monsieur Eugène !
Berthe
Oh, celui là avec son uniforme
j’oserais pas
il m’impressionne !
Leroux
Alors parlez à Clémentine !
Berthe
Je voudrais bien
mais si la petite demoiselle
sait ça
elle me l’a interdit
Leroux
Mais elle part à Versailles
votre demoiselle
Bon vent !
Qu’elle retrouve ses semblables !
En voilà une qu’ a mal tourné !
Pas étonnant avec les parents qu’elle
a !
Et vous Berthe secouez-vous un peu !
Bougez !
Tout va changer
vous n’allez pas rester en rade !
Berthe
Vous avez peut être bien raison !
On va tâcher, on va tâcher !
mais je m’attarde
faut que je rentre !
On m’attend là-haut
ACTE III
17 avril
Premier étage
Ouf ! Je suis éreintée, quelle
horreur ces bombardements, ces blessés, c’est terrible !
Enfin… des nouvelles de ma fille !
Je commençais à m’inquiéter…
Elle lit
Versailles,
le 12 avril
Ma
chère maman,
Enfin
je trouve le temps d’écrire, ici la vie va si vite.
J’ai
retrouvé plusieurs de mes amis et m’en suis fait de nouveaux.
Versailles est un enchantement, si éloigné des turpitudes et des
promiscuités parisiennes, les fêtes et les réceptions sont
nombreuses, je ne vois pas le temps passer ; c’est un autre
monde.
Comme
je regrette que vous n’ayez pu me rejoindre, je tremble de vous
savoir à Paris au milieu du tumulte.
Ah oui, c est vraiment un autre monde…
mais ce ton qu’elle prend…
Cette morgue…
Cette distance…
Promiscuité, mais où a-t-elle cherché
cela ? Mais pour qui se prend-elle, elle n’est pas née de la
cuisse de Jupiter quand même !
Ici,
les nouvelles sont bonnes, on parle beaucoup de la situation et tout
le monde est persuadé que l’ordre reviendra et que le bon sens
triomphera. Dimanche dernier, dans la cathédrale Saint-Louis, nous
avons prié pour la victoire de nos soldats et ce fut une cérémonie
très émouvante.
Jules
Favre a rencontré Bismarck à Rouen, il a obtenu la libération des
prisonniers et reconstitué ainsi une armée de cent mille hommes,
les choses vont aller certainement très vite maintenant.. Comme l’a
déclaré le général Ducros, les débauchés, brigands et assassins
vont être chassés enfin.
Ah, décidément je ne pourrais m’y
faire…
L’ordre reviendra, mais à quel
prix… ! Et quel ordre !
Elle relit silencieusement
Des brigands, des assassins…
décidément ça ne passe pas…ces femmes…ces enfants…que je
vois tous les jours…la vie qu’ils mènent… Ils ont le droit
d’espérer, si j’étais à leur place… Et qu’est-ce que Dieu
vient faire là dedans…d’ailleurs…comme dit Félix je
déraisonne…des fois…je m’en viendrais presque à douter…
Ma pauvre Julienne !
si lointaine …
si dure…
tu me fais peur…
Les
arsenaux fonctionnent à nouveau et selon le frère d’Adrienne
l’on peut compter sur notre artillerie lourde ; c’est un
jeune officier très capable et charmant, il sort de Saint-Cyr et
sert actuellement une batterie de 70 pièces à Montretout, on y a
besoin de ses compétences. J’aimerai que vous le rencontriez.
Je comprends maintenant …
ce ton si hautain…
cette froideur…
ma pauvre Julienne !…
J’espère
que le commerce de Père n’a pas trop souffert, vous lui direz que
ses affaires sont réglées comme il était prévu mais que la vie à
Versailles étant très chère j’ai dû prélever une petite somme
pour maintenir mon train, je pense qu’il fera preuve de
compréhension.
Je
pense que vous recevrez cette lettre, on m’a assurée que le
service du courrier fonctionne normalement.
J’ai
hâte de vous retrouver dans Paris débarrassé de ses désordres et
de ses vices. Prenez garde à vous et évitez de vous exposer.
Votre
fille qui vous aime tendrement.
Julienne
Cette lettre m’a toute effrayée…j’en
frissonne encore…
Je ne reconnais plus ma fille…
Rêveuse, elle relit
silencieusement…
Bon, et bien elle mène sa vie comme
elle l’entend…
Ce n’est plus mon affaire on dirait…
Et moi, ah si je n’avais pas mes
œuvres comme dit Félix…je crois bien que je mourrais d’ennui…on
a besoin de se sentir utile à quelqu’un…je crois que ma famille
ne me comprendra jamais hélas !
Ils sont si loin !
Devant la loge
Clémentine
Alors madame Berthe
Berthe
Citoyenne
Clémentine
Citoyenne Berthe
vous avez raison
vous ne regrettez pas d’être
venue ?
Berthe
ah! Pour ça non !
Ma petite Clémentine,
on peut se tutoyer maintenant…
citoyenne !
me voilà toute ragaillardie
Leroux
Ça je vous comprends
je suis comme vous
et dire que vous hésitiez à venir
Berthe
Ben, faut dire
toutes les deux…
quand vous m’avez dit
le club des prolétaires…
un club…
et dans l’église Saint Ambroise en
plus !
Leroux
Ça, les églises
faut bien que ça serve à quelque
chose
et puis au moins y’a de la place pour
se réunir…
Berthe
Moi qui ne sors jamais
toujours dans cette satanée cuisine
aux ordres de monsieur
de madame
à faire leurs quatre volontés
à toute heure du jour et de la nuit
à peine si je vois la lumière du jour
jamais un moment pour moi
ou alors c’est pour dormir là-haut
sur cette satanée paillasse
parlez d’une existence
Clémentine
Tiens ! là voilà
qui refait son discours
on peut plus la retenir
Berthe
Qu’est ce que vous voulez
j’étais en confiance…
Faut dire
j’aurais jamais pensé qu’il y
aurait autant de femmes
c’est pour ça
ça m’a donné confiance
et puis c’est sorti d’un coup
tout ce que j’avais sur l’estomac
et depuis si longtemps
Clémentine
Et oui, c’est ça la Commune
on a beau nous bombarder
nous menacer
faut que ça sorte !
et plus on nous menace
et plus ça sort !
Ça c’est sûr
on pourra jamais nous arrêter
rien
pas même les obus des versaillais
plus il en pleut
plus ça fleurit
c’est le printemps
y’a rien à faire
faut que ça sorte !
Leroux
C’est bien beau tout ça
mais maintenant qu’est-ce que tu vas
faire citoyenne ?
Berthe
Ben comme vous !
toute seule je peux pas grand-chose
mais à plusieurs !
Alors on va se fédérer comme on dit
comme les concierges
Leroux
syndicat et société mutuelle des
concierges !
soin gratuit et médicaments pour les
familles habitant les loges !
retraite à 65 ans après au moins 10
ans de travail !
asile gratuit en cas d’indigence ou
maladie grave !
secours en cas de chômage !
On a tout fait remonter à la
commission du travail
c’est pas plus difficile que ça !
Berthe
Et Bien moi c’est pareil
vous avez bien vu quand j’ai parlé
toutes ces femmes qui se sont levées
c’est ça qui m’a rassurée
je ne suis pas toute seule
alors c’est venu …tout seul
et puis après, vous avez vu
on s’est rencontré..et…
on va faire la fédération des
employés de maison !
Clémentine
et là le père Félix
faudra bien qu’il file doux
Leroux
il filera doux
moi je vous le dis
j’en sais quelque chose
il a tout cédé
Clémentine
Oh ! Oui, j’ai tout vu !
Quelle rigolade !
Quand votre armée a débarqué
avec ses brosses et ses balais
il a fondu comme une bougie
Leroux
il a pas fait long feu
Clémentine
Tout mou qu’il était
et blanc comme une chandelle
Berthe
Vous allez voir
moi je vais lui souffler la mèche
aussi !
Clémentine
On va le rendre tout coulant !
Leroux
on va modeler la cire !
Berthe
tu as eu raison d’insister
ma petite Clémentine
toute seule j’aurais jamais osé
j’aurais pas même eu l’idée
mais, je t’ai pas demandé
et toi, ton homme
tu as des nouvelles ?
Clémentine
mais il est rentré
depuis hier
il est là-haut
il se repose
huit jours il a passé
au fort d’Issy
sous les bombardements et la mitraille
son bataillon a été reçu hier à
l’hôtel de ville
le conseil de la Commune les a
félicités
puis les a raccompagnés à Belleville
et on les a applaudis le long du chemin
ah ! je suis bien fière de lui…
Demain c’est le 190ème
qui prend la relève
à Clamart
à Issy
et j’en suis !
Berthe
Quand même
faudra être bien prudente
Leroux
faut pas s’en faire pour elle
elle est bien vaillante notre
Clémentine
et puis tiens !
j’aurais son âge
je serais pas la dernière à monter
sur les fortifs !
Clémentine
Et puis maintenant
on sait ce qu’on a à défendre
et ça , ça nous donne du cœur !
Leroux
Ça, le cœur
c’est une denrée qui n’est pas
rare
ces temps ci !
Dans les soupentes
Giuseppe
Entre Gloire, entre…
Gloire
Mais comment sais-tu ? Je n’ai
même pas frappé
Giuseppe
Je sais c’est tout, je t’ai
pressentie
ça c’est le rôle de l’artiste
sentir, pressentir
Gloire
Je suis pas sûre d’avoir compris
Giuseppe
ça ne fait rien
Gloire
C’est moins sombre chez toi
Qu’est ce que tu as fait ?
Giuseppe
je n’en sais rien
Gloire
ah ! ce sont les couleurs
tu peins à nouveau en couleurs
Giuseppe
C’est sans doute ça
Gloire
Tu as des peintures maintenant,
C’est fini le noir ?
Giuseppe
La période noire est finie
maintenant c’est la période rouge
et puis je ne suis plus seul
les artistes se fédèrent
s’entraident
et oui ! Je peux de nouveau
peindre
la grande solitude romantique c’est
fini
c’est de l’histoire ancienne
l’artiste solitaire est mort
place à l’artiste solidaire
Gloire
Mais pourtant
il y a quelques jours seulement…
Giuseppe
Quelques jours…
Un siècle…
Un millénaire !
Gloire
Et où sont tous mes portraits
y’a que des paysages !
Giuseppe
Les portraits
c’est fini
Gloire
J’aimais bien pourtant
Toi tu ne m’aimes plus !
Giuseppe
Mais si je t’aime
bien sûr que je t’aime
je les ai gardés tes portraits
mais tu vois ce que je peins maintenant
c’est la Commune
Gloire
La Commune ?
où elle est la Commune ?
Je vois la mer
et des forêts
Giuseppe
Justement, elle est là la Commune
dans la mer, dans les forêts
dans la couleurs des ciels
dans les soleils
dans l’écume des vagues
dans les rochers
Gloire
Je ne comprends pas
Giuseppe
Pas étonnant
moi aussi
il m’a fallu du temps
pour comprendre
tu vois
avec les artistes de la fédération
on s’est posé plein de questions
qu’est ce que c’est un artiste
à quoi ça sert
est ce que ça sert à quelque chose
comment être utile à la Commune
et y’a une chose sur laquelle on est
d’accord
c’est d’être utiles à la
Commune !
Gloire
En peignant la mer et des rochers
quand les foutriquets nous bombardent
Giuseppe
en peignant la mer et des rochers
parfaitement !
Tu vois
certains pensent qu’ils faut peindre
la réalité
moi je pense que la réalité se suffit
les gens n’ont pas besoin de
l’artiste pour la voir
d’autres pensent que l’artiste doit
embellir la vie
moi je pense que les gens peuvent
embellir leur vie
eux-mêmes
et c’est ce qu’ils font
aujourd’hui…
d’autres encore pensent que l’artiste
doit avoir un rôle moralisateur
Allons, on s’est débarrassé des
curés
on va pas prendre leur place
Pour moi l’artiste est une sentinelle
il se situe aux avants postes
il pressent, il devine, il annonce
il aide à avancer
Gloire
Et la mer, et les rochers, et le ciel,
et le soleil ?
Giuseppe
Ce sont des symboles
des métaphores
ma peinture est symbolique maintenant
Gloire
Des symboles ?
Giuseppe
des symboles
qui peuvent parler à tous
ils parlent de notre force
des dangers qui nous menacent
de nos désirs, de nos espoirs
de nos luttes
Gloire
Ah ouais !
Giuseppe
Ce sont des images qui sont dans nos
têtes
Gloire
Dans ma tête aussi ?
Giuseppe
Dans ta tête bien sûr !
Gloire
Ouais ! Heureusement que tu
expliques
parce que là…
ça y fait mal à ma tête
Giuseppe
Mais justement on est là pour
expliquer
c’est une question d’éducation
et ça, on peut faire pour la Commune
aussi
on va faire ça dans les écoles,
dans les musées,
dans les quartiers
partout on va expliquer…
L’histoire de la peinture
la philosophie de l’art
c’est pas que pour les bourgeois !
D’ailleurs j’ai une petite idée
je t’en dis pas plus
mais c’est une surprise !
Gloire
Ah ! J’adore les surprises !
1er
étage
On frappe
Félix
Berthe, allez voir
on a frappé
où est-elle celle là ?
On frappe toujours
Mais je suis bête
Elle est en train de faire la
révolution bien sûr
ça lui passera avant que ça me
prenne !
Et Félicie n’est pas là non plus
elle est à ses œuvres
dieu sait où…
Les fourneaux municipaux !
Quelle foutue époque !
non mais quelle foutue époque !
alors il va falloir que j’y aille
moi-même !
On frappe
Ça va, on y va,
Qu’est ce que c’est ?
Victor
C’est Victor
Félix (il ouvre)
Qu’est ce qu’il y a
qu’est ce que vous voulez ?
Victor
Je peux entrer ?
J’ai à vous causer
Félix
Ça dépend…
oui bon entrez
on va bien voir
Victor
Et bien voilà
c’est
à propos du petit appentis
votre ancien atelier dans la cour
Félix
le petit appentis…
Vous venez me parlez du petit appentis
Hé ! qui se soucie du petit
appentis…
bon alors…
C’est urgent ?
Victor
Et bien voilà
ça fait des années que personne ne
l’utilise
et moi
et bien
ça m’a donné une idée
Félix
Ah bon !
Paris est à feu et à sang
Plus personne ne respecte plus rien
et vous
vous vous souciez du petit appentis…
Victor
Madame Leroux m’a dit qu’elle
n’avait pas la clef
alors je suis venu vous demander..
Félix
Non !
Victor
Comment non !
Je n’ai encore rien expliqué
Félix
Non
vous n’aurez pas la clef !
Victor
Mais attendez !
Cet appentis
depuis le temps qu’il n’est pas
utilisé
avec l’humidité
il est complètement délabré
les plâtres partent en lambeaux
le plafond est percé
c’est une ruine
Félix
M’en fous !
Vous ne l’aurez pas !
Victor
Mais écoutez
j’ai des amis qui sont dans la
maçonnerie
ils pourraient le retaper
pour rien
gratuitement
vous n’aurez pas un sou à débourser
Félix
Dans la maçonnerie hein !
gratuitement !
non, mais vous me prenez pour un
idiot !
Victor
C’est une proposition honnête
Félix
Vous croyez que je suis né de la
dernière pluie ?
Une proposition honnête
Je voudrais bien savoir quelle idée
vous avez en tête
Ah ! Victor vous me décevez
je vous croyais un homme sensé
et voilà que vous aussi
vous vous prenez à ces folies
Mais quelle mouche vous a tous piqués
En tout cas vous ne ferez pas la
révolution chez moi
Victor
Et qui m’en empêchera ?
Félix
Moi !
Victor
C’est ce qu’on verra !
Moi, je vous demande poliment une
autorisation
vous, vous partez sur vos grands
chevaux !
Alors, votre autorisation
je m’en passe
puisque vous le prenez sur ce ton
Votre appentis est réquisitionné !
Félix
Comment ça réquisitionné !
Victor
Parfaitement
voilà un atelier inoccupé
abandonné
au nom de la Commune
décret du 16 avril 1871
il sera remis à une association
ouvrière
qui aura à charge de l’utiliser
et le faire prospérer
Félix
Vous n’oserez pas !
Victor
C’est ce qu’on verra !
Félix
C’est tout vu !
Victor
Ah oui ! Pourquoi ?
quels moyens vous avez
pour vous opposer ?
Pour tout vous dire
c’est Giuseppe du troisième
et quelques uns de ses amis
de la fédération des artistes
ils veulent ouvrir un atelier
pour l’enseignement populaire du
dessin
de la peinture
de l’histoire de l’art
pour les habitants
les adultes et les enfants
du quartier
alors j’ai pensé à cet appentis
si vous voulez vous instruire
vous êtes invité
Félix
Sortez !
Non mais
qu’est ce que vous croyez
vous
vos maçons
vos artistes
et toutes vos sales idées
vous voulez endoctriner le quartier
enseigner le dessin
mais qu’est ce que les gens en ont à
faire du dessin
gros malin
vous croyez qu’avec ça vous allez
les nourrir
vous voulez rire
Allez ! Sortez de chez moi !
J’en ai plus qu’assez de vos
insanités
Victor
Vous avez torts
Vous allez le regretter…
.
L’appentis
Victor
Et bien voilà !
C’était pas plus difficile que ça !
Gloire
Mais c’est pas en mauvais état du
tout
Victor
Non, mais fallait bien charger la
barque
Gloire
Vous auriez dû me laisser faire
moi je connais le moyen de le faire
céder
le père Félix
Giuseppe
Oui, on sait
ces moyens là, moi je préfère pas
Victor
Bon, et bien ne vous disputez pas
maintenant c’est ouvert
faut dire
pas très malin le Félix
refuser une clef à un serrurier !
Giuseppe
On est comme les gens du Comité
Central
prenant possession de l’Hôtel de
ville
c’est un grand moment
on a mis l’immeuble en Commune
Gloire
Ouais ! Je voudrais pas vous
décevoir
mais l’Hôtel de ville c’est autre
chose quand même
on peut pas comparer
Giuseppe
Parce que tu connais ?
Gloire
Si je connais !
Mais comme mes fouilles je connais
des jours et même des nuits
j’y ai passés
Rien que des marbres, des dorures, des
tapisseries,
faut voir !
Victor
Ah ! oui !
Leroux
On peut rentrer ?
Victor
Et comment donc,
c’est aussi grâce à vous !
Eugène entrant
Ah ! C’est pas mal
Clémentine entrant
Et puis c’est pas si petit
y’a de la place !
Eugène
ben, ça dépend de ce qu’on veut en
faire
Gloire
C’est ça qu’il faut discuter
Victor
c’est pour ça qu’on est là !
Giuseppe
Attendez, on n’est pas tous là
faut pas prendre de décisions
tant qu’on est pas tous là !
faut respecter la démocratie
Victor
Louise et Berthe
vont arriver
elles vont apporter à boire et à
manger
D’ailleurs les voilà
Giuseppe
A manger ?
Louise
Et bien oui !
C‘est comme le 19 mars
d’abord on fête notre victoire
et après on s’organise
et on voit ce qu’on peut faire !
Gloire
Elle a raison Louise
faut fêter ça
et après
on aura des idées claires
Berthe
ça des idées
j’en ai !
Victor
On va voir
on va voir
D’abord on va boire un canon,
un canon
pour la Commune !
Tous
A la Commune !
Vive la Commune !
Félicie
Je peux entrer ?
Louise
Mais bien sûr
entrez Félicie
la Commune est à tout le monde
Félicie
J’ai vu que vous étiez tous réunis
alors
j’ai préparé un gâteau
Giuseppe
On vous remercie tous
pas vrai ?
Tous
Félicie avec nous !
Gloire
Faudrait un discours
maintenant !
Tous
Victor, un discours !
Victor un discours !
Victor
Pourquoi moi !
Clémentine
Tu es le plus vieux
Victor
D’accord
mais je commence et tu continues
toi
tu es la plus jeune
Tous
Victor un discours !
Victor
Ce qu’on va fêter là
c’est un petit évènement
murmures
un petit évènement
comme il y en a plein
aujourd’hui à Paris
dans les immeubles
dans les quartiers
et tous ces petits évènements
qui s’additionnent
qui se complètent
et qui vont changer notre vie
c’est ça la Commune
ce petit évènement
nous l’avons décidé ensemble
rien ne nous a été imposé
nous avons un lieu
qui et le notre
nous allons l’utiliser
pas uniquement pour notre bien
mais pour le bien commun
nous allons le mettre au service de la
Commune !
Applaudissements
à toi Clémentine !
Clémentine
Comme vous le savez
demain
avec le 190éme
je pars comme ambulancière
à Clamart !
je pars
parce que je sais ce que j’ai à
défendre
j’ai vu comment mes parents
ont vécu sous l’empire
j’ai vu le siège
j’ai vu ce que font les prétendus
républicains
comme Foutriquet
Huées
et j’ai vu ce qu’en trente jours
a fait la Commune
ce qu’on a fait
et ce qu’on va faire !
chacun crie
réquisition des logements vacants !
maximum des salaires !
égalité des droits !
liberté de la presse !
mariage libre par consentement
mutuel!
séparation de l’église et de
l’état !
enseignement laïque et gratuit !
dissolution des congrégations !
réquisition des ateliers abandonnés !
égalité des salaires hommes- femmes !
limitation du temps de travail !
dissolution de l’armée de métier !
abolition des retenues sur salaires !
la culture pour tous !
la science pour tous !
Giuseppe
C’est bien, c’est bien
maintenant faut prendre des décisions !
Moi, je sais ce que je vais faire
c’est une idée de la fédération
des artistes
on va enseigner aux citoyens le dessin,
l’histoire de l’art
on met nos connaissances au service de
la Commune !
Berthe
Moi !
Moi !
Moi
ce que j’aimerais
c’est savoir lire et écrire
j’ai toujours voulu
mais j’ai jamais pu
et je suis pas seule dans ce cas !
Leroux
moi je sais lire
un peu
mais alors l’orthographe
c’est pas mon fort
Félicie
Si vous voulez bien
moi je peux
vous montrer
je peux être utile
ça, je crois que je pourrais faire
Victor
bravo citoyenne Félicie
et merci !
Gloire
moi aussi j’ai une sacrée idée
je pourrai donner des lectures
j’adore les romans d’amour
j’suis une romantique vous savez !
et puis j’ai joué la comédie
et je sais aussi chanter
j’ai chanté aux Folies Belleville !
Tous
une chanson ! Une chanson !
Chanson
Le temps des cerises
Quand nous chanterons le temps des cerises,
Et gai rossignol, et merle moqueur
Seront tous en fête !
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux du soleil au cœur !
Quand nous chanterons le temps des cerises
Sifflera bien mieux le merle moqueur !
Mais il est bien court,
le temps des cerises
Où l'on s'en va deux cueillir en rêvant
Des pendants d'oreilles...
Cerises d'amour aux robes pareilles,
Tombant sous la feuille en gouttes de sang...
Mais il est bien court, le temps des cerises,
Pendants de corail qu'on cueille en rêvant !
Quand vous en serez au temps des cerises,
Si vous avez peur des chagrins d'amour,
Évitez les belles !
Moi qui ne crains pas les peines cruelles
Je ne vivrai pas sans souffrir un jour...
Quand vous en serez au temps des cerises
Vous aurez aussi des chagrins d'amour !
J'aimerai toujours le temps des cerises,
C'est de ce temps-là
que je garde au cœur
Une plaie ouverte !
Et dame Fortune, en m'étant offerte
Ne saurait jamais calmer ma douleur...
J’aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au cœur !
ACTE IV : 27 mai
Devant la loge
Gloire (arrive en courant, elle
crie)
il faut tenir, ils bombardent à partir
du Château d’eau
des Buttes Chaumont
ils n’en ont pas fait assez
ils veulent nous réduire en bouillie
ils remontent la rue Saint Maur
on se bigorne à un contre dix
Louise, on a encore besoin de torchons
y’a des blessés
plein de blessés
pour les morts on peut rien
mais les blessés !
les blessés !
Louise (arrive de la maison)
c’est les derniers draps
ce sont ceux de Félicie !
Gloire
Victor, Eugène des nouvelles ?
Louise
Pas de nouvelles
Clémentine est à la Fontaine au Roi
derrière la barricade
Eugène y est
il est blessé au bras
je n’ai pas eu le cœur à la retenir
Gloire
Elle a du cran la gamine
Gloire
et Victor ?
Louise
Victor
je ne sais pas
c’est au château d’eau qu’on l’a
pris
je suis sûr que c’est le Félix qui
l’a dénoncé
le salaud
avant de prendre la fuite
avant de passer sur la rive gauche
Mais il est fort Victor
en 48 aussi on l’avait arrêté
si je savais seulement où on l’a
emmené !
si je savais !
Gloire
et pour la mère Leroux
et Berthe
on sait toujours rien
Louise
rien
quand elle a su que les Versaillais
étaient entrés
elle est partie
avec son balai
comme ça
pour les accueillir elle disait
Berthe est partie avec elle
depuis, on ne sait plus…
si elles ont passé la Seine
faut pas se faire d’illusions
là bas les Versaillais ont fait un
carnage
Gloire
Elles sont courageuses toutes les deux
elles savaient où elles allaient
et toi
tu vas t’ y pointer à la Fontaine au
Roi ?
Louise
Si ça craque rue Saint Maur on va tous
se retrouver là bas
ou rue Ramponneau
Gloire
si ça craque rue Saint Maur
c’est foutu, c’est la fin
le Faubourg va se gaufrer
comme la Fontaine au Roi
cette fois ça sent le cramé
Louise
de toutes façons
faut voir les choses en face
c’est foutu
c’est bien foutu
mais on s‘est bien battu
moi
ce que je me dis
c’est que la Commune
elle a quand même changé bien des
choses
on n’a pas perdu notre temps
plus tard
tu vois
on s’en souviendra
rien ne pourra être comme avant
c’est dans les têtes
que ça a changé
non !
On n’a pas perdu notre temps
c’est bien ce qu’il faut se dire
hein !
sinon
à quoi bon !
les gens comme nous
les ouvriers
ils peuvent pas perdre tout le temps !
un jour viendra
bien sûr !
on sera plus là
mais un jour viendra !
Gloire
Je n’aime pas les grandes phrases
tu me connais
mais je me dis
quand on a vécu tout ça
on peut pas revenir en arrière
on est entré dans la lumière
on va pas retourner à la nuit
et puisqu ils vont tous nous buter
alors tant qu’à claboter
autant claboter debout
je retourne rue Saint Maur
Giuseppe a besoin de moi
il est habile avec ses pinceaux
mais avec son chassepot
l’est largué
on croirait une poule qu’a trouvé un
couteau
tu vois les versaillais
ils ne m’empêcheront pas de rigoler
dans ma caboche tant que je suis encore
là
je suis libre
et contre ça
ils peuvent que dal !
Louise
Allez Gloire
je ne crois pas qu’on se reverra
mais on aura pris un drôle de bon
temps
c’était quand même un sacré
printemps
je m’en vais à la Fontaine au Roi
que veux-tu
j’ai l’esprit de famille
Félicie (sort de l’immeuble)
Louise attendez moi !
Je viens avec vous
je serai plus utile là bas
je n’ai rien à faire ici
ici on n’a pas besoin de moi
Louise
je mentirais
si je disais que je ne vous attendais
pas
Félicie !
Je vous attendais presque !
Devant la loge
Félix
Bon, et bien finalement
il y a pas trop de dégâts
ça n’a pas trop souffert
un bon coup de peinture
et ça sera comme neuf !
Il s’agit maintenant de trouver des
locataires sérieux
Après la tempête les affaires
reprennent !
Julienne
Et maman?
Félix
Grâce à tes amis
elle sera vite libérée
quelques jours au frais
ça lui servira de leçon !
Ah ! ça fait plaisir de rentrer
chez soi !
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